LIVRE : Klara et le Soleil (Klara and The Sun) de Kazuo Ishiguro - 2021

Quand on écrit un roman dont le sujet principal est l'intelligence artificielle, les robots censés remplacer l'humain, on tombe la plupart du temps dans une sorte de dystopie, portrait à charge d'une société déshumanisée et effrayante. Ishiguro fait exactement le contraire, et on est en premier lieu très étonné par ce choix de montrer un monde presque apaisé, rendu pus facile et bienveillant par la présence des robots. Klara est en effet un androïde du futur, Ami Artificiel programmé pour s'occuper des enfants qu'on lui confie et pour être d'une bienveillance, d'une abnégation et d'un dévouement infinis. Elle se voit confier la garde de Josie, petite fille touchée par une maladie mortelle, à laquelle elle va s'attacher jusqu'au sacrifice. Pour sauver la fillette de la mort, pour lui faire retrouver le sourire, pour la lancer sur le chemin de la vie adulte, pour lui faire reconnaître l'amour qu'elle porte à son voisin Rick, Klara usera de tous ses pouvoirs, qu'elle a limités factuellement (son univers est restreint, sa communication basique, la reconnaissance des autres envers elle réduite à portion congrue), mais infinis émotionnellement (elle a développé une curiosité très affutée pour le monde extérieur, elle a le sens du sacrifice, et semble éprouver de plus en plus d'émotions). Avec sa naïveté (elle est persuadée que la destruction d'une machine de chantier très polluante est la clé de la guérison de Josie), avec la complicité du soleil, avec même le legs d'une partie de son corps, elle lutte pour préserver la vie de "son" humain, là où les vrais humains se montrent très limités et un peu pathétiques dans le combat.

C'est beau, c'est la seule chose qu'on peut dire après lecture de ces 400 pages revigorantes, douces, optimistes et touchantes. Ishiguro parvient à donner une voix très crédible à son robot, et écrit à la première personne-machine un texte de SF sans SF. Klara est un magnifique personnage, qui tient à la fois de Mary Poppins et d'une boîte de conserve, et l'univers que Ishiguro construit pour lui donner de la crédibilité est superbe ; notamment cette idée d'appréhension du monde sous la forme de sections, de "boîtes" pop dans lesquelles se placent les émotions, les détails, les plans de vision de son robot. La belle option est de n'avoir pas choisi de faire de ces androïdes du futur des sur-hommes ou des Robocop ; au contraire : fragile, candide, contrainte par sa mission, Klara n'a que son empathie pour Josie comme arme pour lutter contre la maladie. Le fait qu'elle parvienne à ses fins montre combien la croyance d'Ishiguro en un avenir apaisé et meilleur est forte. Les dernières pages, d'une mélancolie poignante, renvoient notre robot à sa triste fonction mécanique, et laissent la place à l'Humain, avec ses faiblesses, ses tares et ses nécessaires défauts. Des humains décidément moins convaincants que les machines dans leur puissance d'empathie et leur capacité de sacrifice, mais c'est toute la beauté de ce roman que de nous les montrer, et de nous montrer, en êtres faillibles et dérisoires. Un roman sur les robots, mais si humain...