Naked (1993) de Mike Leigh
On ne va pas se voiler la face, on n'est pas ici les plus ardents défenseurs de Mike Leigh... Cela ne nous empêche point bien sûr, de garder une certaine lucidité (tu parles) devant chacune de ses œuvres, entendons-nous bien... Bon, alors, on le sait, la chose fut récompensée à Cannes d'un prix de la mise en scène plus un prix d'interprétation pour David Thewlis... Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a du rendement, de l'abattage le gars David, sortant ses dialogues comme une machine capable de faire douze steaks hachés à la seconde : un accent à couper au couteau et des propos qu'il vomit (il a un avis sur tout, et, en plus, est loin d'être ignorant, le bougre) sur tous les gens qu'il croise... Après une sombre histoire de viol (on reviendra sur ce personnage trouble...), Thewlis quitte Manchester pour venir à Londres. Il espère trouver refuge chez une ancienne liaison mais se tape d'entrée de jeu sa colloc... Le type, s'il est capable de sortir un nombre inconsidéré de conneries qui parfois, dans leur absurdité, et avec un sens de la répartie indéniable, ferait presque marrer, demeure absolument odieux avec les femmes, voire carrément violent... S'il incarne une sorte de clochard céleste, anti-social, anti-tout, il peut également se voir caractériser de connard de première, jetant sa rage sur les femmes en les humiliant au besoin... Le pire, dans cette histoire de mecs peu recommandables, c'est qu'on fera la connaissance, en parallèle, d'un autre personnage (le proprio, plus propre sur lui et soigné...) dont la misogynie et la sombre imbécillité (il profite de sa position pour abuser violemment des femmes) sont encore plus marquées... Si ce dernier est rejeté par les femmes, ce n'est pas vraiment le cas du personnage joué par Thewlis que Leigh présente comme étant assez charmeur : il est vil mais ça marche, vu qu'il embobine les deux collocatrices qui ont eu, elles aussi, par le passé, leur lot de déceptions amoureuses, semblant attirer les connards machistes comme le fer la limaille... Un portrait pour le moins peu reluisant de l'humanité, et des hommes en particulier, qui nous fait grimacer plus souvent qu'à notre tour - une sorte de complaisance dans le glauque un poil ambigu (une sorte de mise en scène du "grotesque" chez les sans-dents dont on a un peu trop l'habitude chez ce cinéaste / dans le cinéma anglais). Bref, si on adhère pas forcément à ce regard un peu trop facilement acerbe sur ces gens de peu, sur ces personnages à l'ambuiguité malsaine, force est de reconnaître tout de même ici une grande liberté laissée aux acteurs (il y a forcément une bonne part d'improvisation dans ces scènes d'engueulades infinies) et la création d'une sorte de connard halluciné (interprété avec une certaine maestria par Thewlis) qui sort des sentiers battus... On n'aime toujours pas Mike Leigh mais on lui reconnaît au moins ici une certaine capacité à créer des situations bordéliques limite fassbinderiennes et des personnages tellement ignobles qu'ils en finiraient presque par avoir quelque chose d'humains...