LIVRE : Une Archive de Mathieu Lindon - 2023

"Un jour où on parlait dans sa chambre, autour du bureau placé devant la fenêtre, il me dit qu'il ne voulait jamais que qui ce soit se sente obliger d'avoir une relation affective avec lui, il fallait que ce soit un choix, qu'on ne le voit que par plaisir".

Mathieu Lindon livre ici une sorte de double hommage, double hommage envers les éditeurs disparus que furent Jérôme Lindon (Les Editions de Minuit) et Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.), mais également double hommage envers ses pères/pairs, les deux hommes l'ayant accompagné et conseillé tout au long de sa vie/carrière ; on savait à quel point les rapports avec son père, poids lourd de l'édition parti de presque rien, étaient compliqués (la volonté de se faire éditer dans une autre maison d'édition étant révélatrice de cette "émancipation obligée") mais l'auteur revient ici sur cette relation (de longues années après la mort de son père) avec sérénité et lucidité. Il en profite au passage pour rappeler l'évolution des éditions de Minuit, le rôle de son père, justement, le rôle d'écrivains qui ont marqué la boîte (de Beckett aux auteurs phares du Nouveau Roman) et l'ont fait tourner (Robbe-Grillet y avait son bureau) et les divers aléas subis par cette maison en raison de ses engagements politiques clairs (de la guerre d'Algérie à la cause palestinienne). Editeur, protecteur, commercial, homme de combat, Jérôme Lindon fut une machine de travail qui a su grandir avec des écrivains de renom et en découvrir une palanquée... Mais au-delà de ce récit vécu de l'intérieur par le petit Mathieu qui sut par la suite voler de ses propres ailes, il y a dans cet ouvrage une belle réflexion, en fil rouge, sur ces relations père/fils, ces rapports de confiance comme de défiance (Jérôme se fâcha à vie avec l'un de ses fils et ne put ainsi voir ses petits-enfants), ces périodes d'accalmie comme de tension. Mathieu, pour faire simple, reconnaît à la fois toute la grandeur professionnelle de son père tout en faisant sentir une petite pointe de ressentiment par rapport à ce père qui semblait plus à même de mener sa barque professionnelle que sa barque familiale (les multiples petites tromperies notamment...). Le livre n'a heureusement rien d'un règlement de compte intra-familial post-mortem, Mathieu Lindon s'employant à faire la part des choses : les rapports père/fils n'ont jamais rien eu d'évident et son père sut malgré tout chemin faisant rester proche de sa fille (qui prit ensuite les rênes) et de Mathieu,... Même si j'ai encore un peu de mal avec quelques phrases à la syntaxe pour le moins acrobatique, avec cette prose qui n'est pas toujours d'une évidente fluidité, avec également quelques répétitions intempestives, le bouquin, en mêlant adroitement parcours littéraire et parcours personnel/familial, révèle quelques points pertinents sur ces rapports "de force", parfois ambigus, père/fils et éditeur/écrivain. Archivable.