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28 novembre 2023

Trenque Lauquen (2023) de Laura Citarella

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Voilà un film argentin (bon, sans rancune) qui prend tout son temps (plus de 4 heures au compteur quand même) mais qui charme par sa formidable structure narrative (douze chapitres clairement découpés mais des allers-retours constants entre présent de narration et passé et des sautes d'un personnage l'autre magnifiquement amenées) ; le film, présent au dernier festival de Venise, sortira en France, en deux parties, au mois d'avril, et je donne ma main à couper qu'on en reparlera sérieusement alors. Le point de départ est en soi assez banal : deux hommes, dont on ne sait rien, sinon que leur couple d'occasion n'a pas l'air de bien fonctionner ensemble, "enquête" sur la disparition d'une certaine Laura dans cette ville très tranquille, pour ne pas dire pantouflarde, de Trenque Lauquen. On apprend, peu à peu, que l'un est le petit ami de Laura, venu exprès de Buenos Aires pour savoir où elle est partie, et que l'autre est son ancien collègue, devenu un ami très proche au fil de leur "mission" (aller dans des terrains vagues à la recherche de plantes...)... On pourrait tout à fait s'arrêter là et vous laisser pleinement découvrir le reste... Il y sera question, en vrac, d'affinités électives, de la découverte d'une correspondance érotique et de mystérieux secrets inhérents à cette relation à distance, d'étranges monstres marins, de plantes, de femmes enceintes et de marches dans les près...

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On ne saurait trop comment justifier l'impression suivante, mais on a le sentiment, presque dès le départ, d'assister à une version argentine d'un scénario disparu de Rivette... On vogue de mystère en mystère, de personnage en personnage (une poignée d'entre eux, seulement), de lieux en lieux (mais avec Trenque Lauquen en "noyau dur", en centre de gravité) et l'on a le vague sentiment dès les premières secondes que l'essentiel ne sera pas dans le fait de résoudre les différentes énigmes mais de suivre le cheminement intime de chaque individu dans cette "quête" sentimentale et micro-aventurière de chacun sans qu'il y ait forcément de véritables buts avoués... On ne voudrait pas, volontairement, se plaire à rester dans le flou (d'autant qu'il y a quand même pas mal d'événements très "concrets" sur lesquels on lève progressivement le voile) mais tout le charme de la chose réside dans le fait de se laisser porter par ce flux narratif extrêmement bien ficelé et de s'attacher à ces principaux personnages (en particulier le petit couple phare des deux collègues, Laura et Ezequiel), un peu perdus, un peu entre deux eaux. Chaque chapitre, chaque couche narrative, nous emmène dans une autre vision de cette histoire aux couches multiples et on ne sait plus trop au bout d'un moment ce que l'on est en droit d'en attendre : le personnage de Laura, totalement opaque (pour ne pas dire absent...) au départ, s'éclaircit tout en se densifiant (je sais que qu'au niveau de la science physique cette phrase a du mal a faire sens) et l'on prend plaisir à suivre ses questionnements, sa démarche personnelle, ses marches (comme pour suivre les traces de cette étrange correspondante), jusqu'à se perdre dans la "fiction" qu'est devenue sa vie (le changement de format du film sur la fin, et ce final où... sans spoiler outre mesure Laura se fond en quelque sorte dans la nature...) ; Laura fonctionne à l'instinct et se laisse porter jusqu'au bout par ses envies, ses coups de coeur, et le vent...

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Citarella, en alternant les passages assez bavards, faisant parfois une place de choix à la voix off de l'un des personnages, et les grandes plages silencieuses, sans mots mais avec juste une chanson ou une musique d'accompagnement, laissant à sa caméra tout le temps qu'il faut pour suivre l'un des personnages dans ses "transits", d'un point à un autre, d'une émotion à une autre, parvient à ne jamais nous perdre dans son récit : il y a le lot d'explications qu'il faut en temps utile, de mises au point, puis des moments beaucoup plus libres, avec plus d'espace, où l'on peut tranquillement imaginer ce qui se joue sous le crâne de l'un ou l'autre des personnages, où l'on peut également se laisser porter par ces images glissant d'un paysage à un autre. Trenque Lauquen, sans chercher, comme dans tout bon Rivette qui se respecte, à démêler tous les fils du récit, possède ce pouvoir de séduction des films qui, tout en jouant de la complexité, du mystère, touchent au final par leur évidente simplicité (en particulier dans les relations qui se nouent entre les êtres), leur ton naturel. On ne se prend pas la tête à chercher tous les pourquoi du comment, on fait simplement confiance aux personnages qui eux-mêmes d'ailleurs ne savent pas toujours ce qu'ils recherchent vraiment - la meilleure façon au monde pour trouver quelque chose, n'est-il ? Très belle proposition cinématographique argentine, donc, qui ouvre l'année sous les meilleurs augures.  (Shang - 19/01/23)

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Je l'attendais, ce film, élu de Shang, et dont tout le monde signale la parenté avec le formidable La Flor de Mariano Llinas, qui avait laissé une marque profonde chez votre serviteur. Et au bout des 4h30, diable, je ne peux que me ranger aux côtés des dithyrambes de mon éminent co-bloguier : voilà un cinéma qu'on ne peut qu'aimer quand on aime le cinéma. Trenque Lauquen est un bouillon de fiction : tout y est possible, tous les genres y démarrent, comme un énorme creuset de fantasmes où se mêleraient Lynch et Rivette, Ruiz et Carpenter. Il démarre pourtant dans le plus simple appareil, avec ces deux mecs qui discutent dans une voiture, à la recherche l'un de sa femme, l'autre de la fille qui le fascine : minimalisme de la mise en scène et de la narration, on est dans une sorte d'épure, et on se dit que ça ne tiendra pas sur la durée du film. Mais une fois cette longue mise en place passée, on se rend compte de sa cohésion dans le plan général : elle est une sorte d'ouverture, comme à l'opéra, pour laisser se dérouler une trame qui prend d’autant plus de puissance qu'elle a démarré aussi moderato.  Dès lors, dans un semblant d'ordre très pesé avec ces chapitres sages comme des images, c'est la frénésie des histoires qui se déchaine : Citarella ose tout, le conte fantastique, l'introspection psychologique, le polar, le documentaire, le buddy-movie, le traité de botanique, l'intrigue amoureuse, le flash-back historique...

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Son film semble être comme une suite de codes, comme effectivement dans un film de Rivette période Out One. Le monde, qui est contenu dans cette ville aux mille fictions, Trenque Lauquen, est une suite d'influx, d'injonctions cryptées, que les personnages acceptent de saisir au vol ou non, qui durent une heure ou 15 secondes, comme dans ces textes mystérieux de Borges ou de Cortazar. On peut par exemple être tendu pendant une heure dans l'attente de la découverte d'un monstre marin recueilli par deux étranges femmes... pour au bout du compte voir l’intrigue bifurquer vers autre chose sans qu'on en soit autrement marri. L'impression en fin de compte d'un film en totale liberté, qui peut tout se permettre, duquel tout peut sortir, et en même temps d'un objet très maîtrisé, où chaque petite histoire est mesurée, soigneusement cadrée, pesée au gramme près pour durer sa bonne durée ; d'un film labyrinthe, à la fois très complexe et simple comme tout. Ce foisonnement de récits, commencés mais rarement terminés, pourraient bien représenter la vision qua Citarella de la vie : il faut de la fiction pour vivre, sinon on se dissout, on disparait. Très belle idée, qui pour tout cinéphage qui se respecte, ne peut qu'être parlante. Un pur moment de bonheur que ce film, intello et sanguin, difficile et enfantin, mystérieux et chaleureux.  (Gols - 26/11/23)

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