Wavelength de Michael Snow - 1967
Michael Snow est mort hier, il fallait bien lui rendre hommage sur ce site, malgré qu'on en ait. Pourquoi pas avec ce classique du cinéma expérimental, vu jadis au festival de Clermont-Ferrand, et qui m'avait laissé un souvenir à la fois terrifié et fasciné ? Douleur intacte aujourd'hui, je vous l'affirme : la vision de ces 45 minutes est éprouvante, on ne va pas se le cacher. Il faut dire que Snow ne fait rien pour se faire aimer : le film est constitué d'un seul très long plan, montrant un appartement vide ; La caméra, très lentement, avance dans ce décor, pour au final ne cadrer qu'un minuscule détail : une photo accrochée au mur et qui représente un océan. Ce travelling avant est ponctué "d’accidents" d'image, scratch, saute de pellicule, changements très sec de couleurs, disparition complète parfois de l'image, gros grain crasseux... L'image vide est de temps en temps occupée par un "événement": deux femmes passent pour changer un meuble de place, elles reviennent pour écouter une chanson des Beatles, un homme tombe mort, une femme prévient quelqu'un de cette mort... Enfin, la bande-son a tout de la torture : au départ réaliste, elle se transforme en une sorte d'onde de plus en plus aiguë, qui finit par vous déchirer le tympan. Difficile pour l’œil, pour l'oreille, et pour le cerveau tout entier. Je vous livre ici ce que j'en ai conclu, qui est peut-être à l'opposé de la vérité (si vérité il y a).
Wavelength tente de faire du cinéma de façon non pas horizontale (la pellicule qui défile), mais verticale. Le mouvement en profondeur accompli dans le décor s’accompagne d'un mélange des temporalités : ces petites actions sont visiblement dépourvues de lien entre elles, et doivent se dérouler à des époques différentes de la vie de cet appartement. A la manière de la géniale BD Ici de Mcguire, Snow tente d'inverser le mouvement traditionnel du cinéma : on regarde "en profondeur", presque en relief les différentes strates de temps, jusqu'à arriver à cette image des origines, vagues sur une mer qui peut représenter l'état originel de cet appartement. La grande idée est d'avoir représenté ça aussi par un mouvement d’appareil, pas seulement par un "scénario" : le film apparaît presque comme en 3d, à l’instar de ces couches de temporalités qui se mêlent dans un même lieu. Le son, strident, viscéral, épouse aussi ce mouvement, en devenant de plus en plus abstrait et "inhumain" au cours du film. Enfin, les accidents de pellicule, très inspirés par le nouveau cinéma qui florissait alors à l'époque, ancrent le film dans son temps, lui donnent une pâte concrète, solide, comme une image de la pellicule elle-même. L'idée est super, mais il est vrai qu'il faut être en forme et tous les sens en éveil pour apprécier l'expérience : voilà un objet couillu, pièce de musée autant que film de cinéma. Hommage fait, passons à plus traditionnel.