LIVRE : Henry Miller, Un Rêve parisien de François-Xavier Freland - 2022
Shang revient à Proust, je reviens à Miller, c'est ce qu'on appelle le syndrome du saumon. Et le petit voyage sans façon que nous concocte Freland en pays millerien s'avère finalement très agréable. Voilà longtemps en effet qu'on ne m'avait pas raconté les années passées par le vénérable écrivain à Paris, son émerveillement, son rapport avec June Mansfield sa femme et Anaïs Nin sa muse, ses potes, ses beuveries, sa clochardisation, et surtout la naissance de l'écrivain qui publie enfin ses premiers livres. Je connais ça par cœur, honnêtement, mais Freland est doté d'un petit ton qui marque des points, d'une langue dynamique et légère tout à fait adaptée au sujet. Armé d'une solide connaissance du gars (les citations de ses livres embrassent toute sa carrière), il retrace donc dans le détail ces fameuses années décisives dans le cursus de l'auteur, mettant en lumière ici une contradiction, là un signe du talent futur, plus loin un détail biographique parlant pour dessiner le personnage. Bien entendu, la figure tutélaire, celle sous laquelle le bouquin se place servilement, c'est June, femme fatale qui bouleversa la vie et la carrière de Miller. Décrite comme elle devait l'être par Miller lui-même, avec un mélange d'admiration, de fascination, d'attirance, et de répulsion, de noirceur, de rudesse, elle apparaît comme l'être qu'il fallait à l'écrivain pour le devenir enfin, écrivain, celle qui, par la seule puissance de son sexe et de sa beauté, l'a convaincu de son talent, lui a fait découvrir Paris, l'a mené sur la voie du sexe et de la libération de lui-même. Contrebalançant la chose, Anaïs Nin, elle, intello, intelligente, lascive, enthousiaste, constitue "l'âme blanche" quand June était" l'âme noire" de Miller. Freland revient sur cette relation à trois avec verve et entrain, pointant dans les livres les occurrences de ces dames, ne cachant rien des forces et des faiblesses de son modèle. Dommage qu'il ne se soit concentré que sur ses années, et perde ensuite les traces du Miller grec, européen, puis de nouveau américain : les années suivantes, moins souvent traitées par les biographes, sont résumées en quelques pages. Elles sont néanmoins traitées, et on apprécie aussi de suivre le Miller vieillissant, culte, célèbre, même aussi rapidement. Mais pour en revenir à Paris, le livre narre avec beaucoup de sensibilité la ville de ces années-là (40), faisant une énième fois renaître les putes, les potes, les beuveries, les orgies, les enthousiasmes et les grands moments de misère de la bande à Miller, colorée et parfaitement pittoresques. Brassaï, Perlès, Nin, Cendrars, Durrell, Varda, autant de noms qui sont comme des sésames dans mon imaginaire voué à la littérature grandiose du maître, restitués ici dans toute leur vérité. Il nous prend, et c'est la marque que le livre est réussi, des envies de relire toute l’œuvre du gars, de se replonger pour la millième fois dans cet univers de sexe, de cosmogonie, de littérature, de sensations, de style, d'astrologie, de voyages, de copains, que le gars Miller a été le seul à décrire aussi bien. Bel hommage énamouré.