Men d'Alex Garland - 2022
Brave représentant d'un genre qui pourrait s'appeler "film d'horreur intello", Alex Garland, après un ou deux films très conceptuels (dont un vu avec peu d'intérêt par le compère Shang), revient aujourd'hui avec ce Men qui, sur le papier, promet de belles choses. Concerné par le monde qui l'entoure, les deux pieds dans la réalité alors que la plupart de ses confrères réduisent le film d'horreur à l'apparition de monstres gluants, Garland s'intéresse en effet ici aux traumatismes de la domination masculine, aux femmes battues, à la difficile (ou impossible ?) résilience des victimes de l'emprise des hommes. Il le fait en traduisant les traumas féminins par des visions horrifiques et des pulsions fantasmées bien torves, fabriquant ainsi un film d'atmosphère souvent assez réussi, inventant même ça et là quelques images traumatiques du meilleur effet. L'histoire est simple : une femme qui a vu son mari mourir devant ses yeux (suicide ? accident ? chantage ?), tente de se reconstruire dans la campagne florissante de la verte Angleterre. Maison de luxe, calme et silence, elle devrait y oublier les mauvais traitements dont son mari l'accablait, ainsi que cette image horrible : son mari en pleine chute échangeant un dernier regard avec elle avant de s'écraser 15 mètres plus bas (hommage au film de Berthommier et Robilliard).
Tout ne va bien sûr pas du tout se passer comme prévu. Très vite, la belle se sent observée, menacée, harcelée par les hommes de ce village (qui ne semble contenir aucun homme), depuis le curé du village qui lui sort un sermon moral indigne jusqu'à un vagabond guère avenant qui se balade à poil dans son jardin, depuis un enfant insultant jusqu'à un inconnu qui semble la suivre sans cesse. Et l'angoisse de monter petit à petit, indéfinissable, vague, mais bien présente, pour tenter de circonscrire l'angoisse de la jeune femme, son incapacité à refaire sa vie, son trauma qui la hante sans cesse, et l'éternel poids que les hommes font porter sur les épaules des femmes. Intéressant à priori, et même parfois assez réussi : le film propose de temps en temps des images très joliment mises en scène et qui vous rentrent dans le crâne. C'est le cas de cette silhouette aperçue de l'autre côté d'un tunnel (admirez le symbole) et qui se met à courir vers la femme ; ou de ce clodo couvert de plaies ; ou de ce gosse qui porte un masque de Marilyn Monroe. Autant de plans a priori inoffensifs, mais qui portent en eux une imagerie inquiétante, une menace sourde et sans esclandre qui fonctionne. On apprécie d'autre part que Men traite de sujets adultes et les traite en adulte. C'est assez rare pour le remarquer. Enfin, on remarque que le final, lovecraftien avec ces êtres qui accouchent d'autres êtres qui accouchent d'autres êtres, est très spectaculaire et malin pour exprimer la résilience finale, l'expulsion de ses cauchemars par l'héroïne.
Mais d'un autre côté, Garland fait de grossières erreurs de mise en scène qui annule les effets sus-cités. Un gros flou notamment sur les points de vue, qui brouille complètement la lecture : en restant toujours du côté de la vision féminine de son héroïne, il aurait pu construire une vraie vision traumatique du monde enfermée dans cette psychose. Mais il sort trop souvent de ce principe, par pur souci de spectaculariser un peu un film volontairement lent et indicible, et tous ces plans qui changent de subjectivité sont ratés. Et puis la grande "invention" du film s'avère une très mauvaise idée : faire jouer tous les rôles masculins au même comédien, histoire de dire "ouais, les hommes, tous les mêmes". Ça oblige le bougre à porter mille prothèses qui le rendent légèrement ridicule et qui annule la peur. Et ça appuie lourdement sur la symbolique, comme si on était incapable de déceler les messages du film sans qu'on nous les assène. Sujet ambitieux et intéressant, mise en scène ratée malgré quelques pointes de talent.