Cow (2022) de Andrea Arnold
Vous avez vu Rosetta ? Eh bien voilà, Andrea Arnold filme sa vache, Luma, et son veau, comme les frères Dardenne filmaient Rosetta. Cela donne une oeuvre filmée, non pas à l'épaule, mais à l'entrecôte, voire un film parfois filmé un peu plus bas, au niveau de la bouse, ce qui donne finalement une idée assez précise de ce que peut être la vie de merde d'une vache. Contrairement à l'excellent film d'Emmanuel Gras, Bovines, Arnold ne cherche pas vraiment le côté bucolique de la chose (sauf peut-être lorsque le veau s'en va gambadant paître pour la première fois dans les prés - mais le veau est encore bien naïf) : elle filme une vie de vache telle qu'elle est, sans fioritures, ni faux espoirs : la vache accouche (enfin, on lui arrache littéralement sa pauvre progéniture de son corps), elle a quelques heures à passer avec ce truc gélatineux, que l'on va vite habituer à téter une mamelle en plastique, avant de l'emmener ailleurs. La vache aura beau gueuler comme un veau (difficile d'éviter, même alors, tout anthropomorphisme : la pauvre beugle tristement et son regard se fait plus triste qu'un prisonnier), elle ne le reverra plus ; il lui faudra (en musique...) se refaire monter par un taureau au regard bas (même si le ciel est envahi alors de feux d'artifice, le romantisme n'est pas franchement au rendez-vous)... Et le processus recommencera - de mal en pis. Luma, disons-le maintenant pour profiter de cette finaude transition, est une vache lourde avec des mamelles de folie. On pourrait d'ailleurs aisément l'imaginer dans la série des Marseillais contre le reste du monde si la vache ne faisait preuve souvent d'un QI supérieur aux candidates sélectionnées dans ladite émission. Elle doit se trimballer ces énormes mamelles après chaque accouchement, et même s'il s'agit d'une vache à lait, la chose demeure d'une proportion impressionnante, dantesque, invivable... Et sinon, c'est quoi sa vie de vache ? Il faut parfois se faire rogner les sabots dans une machine de torture, se faire trimballer d'étable en étable, se faire pomper son lait (en écoutant les Pogues, sont cons ces fermiers anglais quand même...), tomber enceinte, accoucher, se retrouver à nouveau seule, beugler sa haine du monde...
On ira peut-être pas jusqu'à dire qu'Arnold fait un film pro-vegan (oh ça suffit, non ? Quand on en vient à parler de ce que son chat mange, c'est bien qu'on a tous un grain...) ou un film féministe (la vache, cette exploitée) mais disons qu'elle filme la chose au ras des pâquerettes et que cette condition de vie nous laisse un peu penaud... Même quand la nuit, la vache regarde les avions qui passent (la vache évolue, aussi), ou les étoiles, il n'y a rien là, dans ces moments de calme, de franchement mirifique... Quant au veau qui sautille, on se dit qu'il fera bientôt moins le malin avec des champignons de Paris et de la crème, le con. Un film plus dur que l'on ne pensait (la fin est brutale, hanekesque oserait-on) qui nous montre à hauteur de vache (la caméra d'Arnold en fait d'ailleurs parfois les frais : les coups de truffe ou de jambes arrière sont légion) une vie finalement pas très ragoutante. Dans la peau d'une vache, une œuvre en immersion finement menée. Vais me faire une pizza, finalement, ce soir.