Armageddon Time de James Gray - 2022
Les films de Gray nous emballent ou pas, ainsi va la vie. Je dois dire que cette fois-ci, il ne m'emballe guère, tout empêtré qu'il est dans un classicisme qui confine à l'académisme, dans une nostalgie un peu rance et dans un univers très balisé qu'il a du mal à renouveler. Armageddon Time fait partie de ces films que tentent souvent les cinéastes vieillissants, ceux qui parlent de leur enfance. En reconstruisant les décors de leur jeunesse, en ressuscitant les personnages probablement morts qui ont marqué leur vie, ils se payent à bon compte un retour dans le passé, avec ce qu'il faut d’embellissement de la réalité et de mythification de ces années-là, cadeau luxueux et personnel qui peut donner de belles choses mais peut aussi tomber dans l'anecdotique ou le larmoyant. L'enfance de Gray fut semblable à plein d'autres : les petites blagues aux profs, le pépé gentil, les rêves, les copains plus ou moins recommandables, le père pudique et la mère aimante. Il nous raconte ça, bon, on veut bien l'accompagner dans cette introspection doucereuse, dans cet univers un peu trop beau pour être honnête et dans ces petits malheurs d'enfance. On regarde donc avec bienveillance cette bande d'acteurs d'ailleurs très compétents sourire doucement, dans la belle photo automnale de Darius Khondji (est-il capable de faire autre chose que ces images nostalgiques et orangées ? A force, on se le demande), dans ces petits drames et ces grands bonheurs portés par l'alter ego Paul Graff.
Môme né dans une famille de gauche juive ashkenaze, joyeuse et tonique, il est proche de son gentil papy (le touchant Anthony Hopkins), modèle de sagesse qui lui apprend l'honneur, la sensibilité, l'honnêteté et la construction des fusées. Il rêve d'être artiste, hein, bien sûr, et fait des beaux dessins au grand dam de son père, sévère et un peu dépassé (l'impeccable Jeremy Strong). Celui-ci se montrera encore plus atterré lorsque son fiston s'entichera d'un petit môme frondeur de sa classe, déclassé parce que black ; ensemble, les deux lascars font les 400 coups, l'allusion au film de Truffaut étant d'ailleurs très prégnante puisqu'ils iront jusqu'à voler un ordinateur (en lieu et place de la machine à écrire truffaldienne). Acte qui conduira notre petit héros en école privée où il devra faire un choix : la respectabilité et l'adhésion au groupe (raciste et de droite), ou le respect de soi-même. Dilemme sur fond de discrimination, mais traité dans la sobriété et la légèreté : tout ça ne s'avérera pas très grave au final, juste une petite étape morale importante pour Paul, un petit tournant entre son enfance et son âge déjà adulte.
Tout est attendu dans ce gentil petit film tendre. Certes, Gray sait y faire, et sa mise en scène est relativement jolie, ses personnages attachants, son film parfaitement viable. Mais tout semble déjà avoir été vu trente fois dans les autres films de ce genre, depuis les petits événements d'un scénario très prévisible jusqu'à la photo, depuis ce papy plein de sagesse jusqu'à la convocation de musiques d'époque (les Clash ici, bon, on apprécie). Gray n'a jamais été un moderne, je veux bien, mais il revient ici à ses premières amours (Little Odessa surtout) avec son lot de mélancolie et son catalogue de situations trop convenues, et ça c'est plus dommageable. Armageddon Time semble daté d'un autre âge, et issu d'un cerveau qui veut trop se vautrer dans le passé. L'aspect le plus réussi, finalement, c'est l'aspect "politique" : cette famille vertueuse et tolérante se débat au milieu des années Reagan, dans un univers déjà asservi à l'argent-roi et à la xénophobie (même la famille Trump fait une apparition), et cette dualité fait le sel d'un film qui peut se lire aussi comme une critique de son pays. Prenons ça, et restons bienveillant avec ce cinéaste qui a bien le droit, après tout, de se laisser aller une fois à l'évocation doucereuse de son enfance. (Gols 18/11/22)
Voilà encore une de ces oeuvres pour laquelle certains critiques avaient crié au scandale à Cannes du fait de son absence au palmarès... Je ne suis pas un farouche défenseur du gars Lindon-président du jury mais avouons qu'on a là l'un des films les moins ambitieux et les moins prenants de Gray. Je marche dans les pas de Gols en saluant cette sympathique chronique de jeunesse, ce jeu d'acteurs solide (du gamin allénien à Hopkins qui en fait de moins en moins depuis qu'il est mort), ou encore cette photo léchée (qui m'a fait pour ma part plus penser aux années 70 qu'aux années 80, mais cela est un détail). Malheureusement, le film ne décolle jamais vraiment : on pouvait s'attendre à ce que Gray se focalise sur l'amitié entre ces deux gamins, mais il laisse un peu tomber son fil en route avant de le reprendre in extremis, on pouvait croire qu'il bifurquerait sur le portrait d'une relation particulière entre le gamin et son papy mais au-delà de deux trois sages conseils donnés par icelui cela ne va pas péter bien loin, on pouvait imaginer qu'il se concentrerait finalement sur les rapports tendus entre le fils et le père mais après une petite scène violente et vacharde tout retombera comme des flocons de neige - avec cette petite morale un peu facile : "tu sais, fiston, la vie est injuste, ce qui peut justifier que parfois on ait le droit de faire un peu de la merde, hein !". Mouais, même si cette famille a l'air bien déçue que Reagan accède au pouvoir, elle semble tout de même prendre la plupart du temps un chemin bien sage, espérant d'ailleurs que les gamins, dans cette école de bourges, aient l'opportunité de "réussir" grâce à ce système d'école privée aux discours rances mais où les accointances peuvent se révéler un bon placement pour l'avenir... On s'attendait à une bouffée d'émotion armageddonesque, Gray étant particulièrement doué pour trouver en nous la faille qui fait mouche, on se retrouve devant un gentil bidule très bien tenu, joliment calibré, tout en douce nostalgie certes mais un peu inoffensif. Entre Gray clair et Gray foncé. (Shang 29/11/22)