Quand je serai dictateur de Yaël André - 2014
Un documentaire expérimental assez fascinant, voilà ce que nous propose la cinéaste belge Yaël André, qui a dû voir les films de Des Pallières ou de Jonathan Caouette. Comme eux, elle sait parer son propos d'une étrange poésie appuyée sur le réel, comme eux elle joue avec les images de la réalité pour construire un monde parallèle, entre rêves d'enfance et autobiographie. Quand je serai dictateur fonctionne vraiment là-dessus : André a collecté des centaines d'images super-8 amateures, ces petits films de vacances, complètement anodins, qu'on a tous dans nos greniers, et qui montrent nos vacances au ski, le bébé qui se met à marcher, notre voyage à Mimizan ou une pitrerie du petit neveu. Elle tisse ensemble ces images pour travailler sur un concept assez complexe : si toutes ces vies différentes, rassemblées en un seul film, dessinaient en fait une existence rêvée, fantasmée, bâtie de toutes les possibilités, de toutes les envies ? A partir d'un embryon d'histoire plus ou moins tenue (le disparition de "Georges", l'homme ami/amant, et les vies qu'il aurait eues s'il était encore ici), elle nous montre un faisceau d'existences possibles, où on peut être tour à tour dictateur, psychopathe, mère de famille, vacancier tranquille, etc. Autant de vies qui auraient pu être, et qu'on nous donne à voir en petits chapitres. A chaque fois, des images banales, anonymes, qui nous sont étrangement familières tant on est réellement de la génération super-8, et qui constituent en fait notre socle commun. Concept un peu fumeux et qui paraît improbable sur le papier ; mais le charme fou de ces petites images, associées à la formidable voix et la diction bluffante de Laurence Vielle, agit peu à peu comme une bonne séance d'hypnose. Et on se retrouve dans un univers pas si loin d'une certaine science-fiction : une manière douce de nous faire apparaître la présence de mondes parallèles, fictionnels, de jouer avec les probabilités et le hasard, une façon de faire de la métaphysique en passant par le jeu. En tout cas, le montage est vraiment réussi, et on se dit que, à l'instar des grands documentaristes compulsifs contemporains (Beauvais, Périot), Yaël André a trouvé une manière bien à elle de travailler l'archive et de créer un autre monde à partir de ces centaines de mondes existants. Déclaration d'amour poétique au monde tel qu'on peut le rêver et aux possibilités d'une vie, voilà un film singulier qui vient doucement vous interroger bien longtemps après sa vision.