Destruction Babies (Disutorakushon beibîzu) de Tetsuya Mariko - 2016
Un nouveau Japonais dans notre colonne de gauche est toujours une bonne nouvelle, surtout quand, comme ici, il s'agit d'un de ces iconoclastes comme le pays a pu en produire quelquefois (on songe à Wakamatsu en particulier ici). Bienvenue donc à Tetsuya Mariko et à son film bien barré Destruction Babies. De quoi s'agit-il, me direz-vous ? eh bien d'un gars qui se bat. Voilà. Du début à la fin du métrage, le "héros", jeune homme mutique, provoque des bagarres et cogne sans jamais se lasser, même s'il se retrouve plus souvent qu'à son tour dans les pommes avachi au milieu des poubelles. Les plus forts que lui, les groupes, les vieux, les jeunes, il s'en fout, il ne veut que se battre. Pourquoi ? On ne sait pas, et on ne le saura pas, et peut-être même que lui aussi l'ignore. Il y a, en tout cas dans la première heure, une sorte de fascination qui naît de cette absence totale d'explications quant aux motivations de notre homme, et de la répétition éternelle de la même scène.
C'est radical, on est d'accord, mais Mariko sait exactement où placer sa caméra pour rendre ces scènes à la fois dérangeantes, comiques et absurdes. Les très longues bagarres, chorégraphiées au millimètre pour en rendre toute la brutalité, finissent par devenir un spectacle pur, abstrait jusqu'à l'inanité, et c'est ce creusement de la violence qui dérange le plus. De monstrueux parce que frappant au hasard, le jeune gars devient drôle par son absence totale de peur du mal, puis terrifiant par son manque d'affect. Il y a d'ailleurs quelque chose de l'ordre du fantastique dans cette façon qu'a la caméra de filmer les futures victimes dans un paisible quotidien avant de les voir massacrées par notre gusse. Dans cette première moitié, Mariko réussit un film-objet, conceptuel et audacieux, qui nous fait passer par moult sentiments alors même que son procédé est réduit à sa plus simple expression : un gars qui cogne (ou se fait cogner), point, et ce que ça nous fait de le regarder faire.
Il est vrai que le cinéaste ne parvient pas vraiment à tenir ce cap jusqu'au bout, et c'est bien dommage. Piégé par la malédiction du scénario à tout prix, il complique sa simplissime histoire par l'adjonction d'un nouveau personnage qui, fasciné par la violence incompréhensible du jeune homme, décide de le suivre à la trace et de transformer cette brutalité sans sens en brutalité "dirigée" : contre les femmes, surtout, contre les vieux, contre la société. Il veut donner une direction presque politique à ces bagarres en quelque sorte. Le film se piège lui-même, devient lourd (l'acteur qui joue l'acolyte est pesant), trop parlant, et perd toute son aura d'installation conceptuelle. Il finit dans un flou scénaristique complet, alors qu'il avait réussi une épure parfaite dans un premier temps. Dommage dommage : un excellent cinéaste, encore trop prisonnier du scénario.


