LIVRE : Les Envolés de Etienne Kern - 2021
Il n'y a pas si longtemps que cela, je vous parlais, lors d'un film d'archives qui nous montrait Paris au début du siècle, de cet homme, ce fou non-volant, cet inventeur du parachute qui ne s'ouvre pas, qui, un beau jour de 1912, pour prouver à tout le monde le bien fondé de son invention, sauta du premier étage de la Tour Eiffel : quatre secondes de chute libre, ses dernières, et au final un trou de quinze centimètre de profondeur sous les yeux d'un public qui n'y avait jamais vraiment cru... Des images hypnotisantes et une mort terrible, idiote. De quoi se demander ce qui avait bien pu amener un homme à faire une telle folie... Kern s'est apparemment posé la même question et a décidé de pondre ce petit ouvrage très éclairant sur la vie et l’œuvre (inachevée...) de cet autrichien qui s'est éloigné un peu trop rapidement du soleil et s'est bousillé la cervelle à même le sol... Un tisserand besogneux, apprendra-t-on, qui, avant ses quatre secondes de gloire (une comète...) avait connu tout au long de sa vie une longue suite de... ratés... Une histoire d'amitié vite avortée (son meilleur ami s'écrase en avion... un autre pionnier de l'échec), une pour ne pas dire deux histoires d'amour qui se terminent en queue de poisson, un commerce qui subit de plein fouet sa passion et qui se met à péricliter, une sœur avec laquelle... bon, n'en jetez plus, on aura compris, certains ont le don pour réussir, d'autre pour échouer. Mais Kern, loin de faire le portrait d'un loser, d'un raté justement, nous rend ce personnage très vivant, très gai, et c'est avec plaisir que l'on goûte à cet ouvrage où les envolées ne resteront le plus souvent que lyriques... Car voilà, il y a des petits qui ont aussi le droit de rêver... On a beau se dire, à chaque fois que notre tisserand essaie son invention sur des mannequins qui finissent quelques mètres plus bas en charpie, qu'il finira bien un jour par prendre conscience de la limite de sa trouvaille, ou encore que quelqu'un finira bien par lui faire entendre raison. Que nenni, il y a des destins qui sont déjà filmés et avec lesquels on ne pourra jamais faire machine arrière. Kern décortique ces quelques secondes finales qui nous restent de cette chute tout en essayant d'allonger au maximum la vie tristement banale de cet homme - mais l'instant fatidique peut-on éternellement le reculer ? Joli petit récit précis et à hauteur d'homme pour rendre hommage à un homme qui, pour le coup, ne l'a pas volé.