Compétition officielle (Competencia oficial) de Mariano Cohn et Gastón Duprat - 2022
Il est agréable parfois de se laisser aller au simple plaisir de voir un trio d'acteurs cabotiner gaiement devant la caméra sans chercher midi ailleurs qu'à l'heure dite. C'est exactement ce que vous propose Compétition officielle, avec en bonus une mise en scène intelligente et beaucoup de fun, que peut demander le peuple ? Quand les acteurs en question sont aussi glamour que Penelope Cruz ou Antonio Banderas, rien, ce me semble. C'est en effet un vrai plaisir de voir ces deux-là, accompagné du subtil et marrant Oscar Martinez, rivaliser de talent pour nous offrir le plaisir tout simple de la farce caustique, du portrait de milieu aisé présenté façon bazooka, du comique de situation haut de gamme. La cible de Cohn et Duprat : le petit milieu du cinéma, la suffisance satisfaite de ses stars internationales adeptes des blockbusters, l'amertume jalouse des partisans de l'Art, la mégalomanie des créateurs sacrés génies. Penelope, dans le rôle caricatural mais marrant de la réalisatrice en vogue, capable des pires extravagances d'artiste perchée, est engagée par un homme d'affaire désœuvré pour réaliser un film qui réunirait "les meilleurs", c'est la seule consigne. Il achète les droits du livre le plus en vogue sans l'avoir lu, met le paquet niveau pognon, à la dame de transformer ça en objet à la fois arty et bankable. Elle engage donc les deux acteurs stars du moment, venus de mondes que tout oppose : Felix Rivero (Banderas) est la star internationale, toujours entre deux tournages de série, paresseux et très fier de lui ; Ivan Torres (Martinez) un adepte de l'art et essai, farouche ennemi du grand public et du succès, prétentieux et jaloux. Entre ces trois-là, une relation étrange, faite de fascination, de haines, d'envies, de dénis et de compétitions, va se nouer durant les répétitions de ce film à venir.
Cohn et Duprat ne sont pas des réalisateurs de films, mais de séquences. Je veux dire par là que du point de vue général, leur film est bancal, assez mal construit, peinant à dégager un fil conducteur très net, à raconter une histoire claire. Dans leur volonté tout feu tout flamme de démonter les petites vanités du cinéma, et en même temps de fabriquer un suspense, et en même temps de fabriquer un objet arty lui-même inspiré du cinéma expérimental, ils se perdent en route, et nous avec. On fait parfois de solides sorties de route un peu ennuyeuses, notamment sur la fin où les bougres s'accrochent à une trame un peu polar qui n'a rien à faire là. Beaucoup de répétitions, des piétinements à plein d'endroits, un manque de développement dans les personnages, qui stagnent un peu au bout d'un moment, une trame qui finalement ne raconte pas grand chose : c'est loin d'être parfait. Mais ce sont de vrais bons réalisateurs de séquences : prises une par une, elles sont vraiment très marrantes, et l'ironie des metteurs en scène prend toute son ampleur dans les petites idées essaimées ça et là : un énorme rocher disposé au-dessus de la tête des deux acteurs pour leur mettre la pression, une séance de destruction des statuettes de prix absolument fascinante, un monologue de Banderas troublant, un pétage de plomb aviné d'un des deux hommes qui se conclue par un homard enfoncé dans un verre de rouge (image bunuelienne et scandaleuse), mille détails de jeu de ces comédiens en parfaite maîtrise de leurs effets, on ne cesse d'aller de plaisir en moments fun. Les concernés en font des tonnes, certes, mais on sent bien qu'ils sont là pour nous faire marrer, et l'auto-critique assez poussée de Banderas, par exemple, ou les singeries très justes de Penelope, emportent sans nuance l'adhésion.
Dans un étrange décor, joliment trouvé, de maison à l'architecture contemporaine, complètement vide, les haines sous-jacentes et les petites mesquineries des uns et des autres ont de quoi s'exprimer, et on aime aussi la sobriété du contexte, qui change des excès du cinéma espagnol habituel, cette concentration sur les acteurs (Cruz a droit à quelques gros plans somptueux : son visage est un vrai paysage). Bref on a trouvé là deux zigotos qui savent parfaitement trousser une situation, la pousser jusque là où il est possible de la pousser, et diriger les acteurs. Petit plaisir sans façon.