Slacker (1990) de Richard Linklater
Il y a toujours chez Linklater une forme (en mouvement constant) pour le moins originale. Un individu débarque ici dans la ville d'Austin au Texas et commence par noyer le chauffeur de taxi avec ses théories fumeuses sur ses propres rêves et les vies parallèles... puis il croisera un autre individu (qui vient d'écraser sa mère en bagnole) qui nous mènera sur les traces d'un autre passant qui nous mènera...- je crois que vous avez compris le principe... Comme une puce un peu curieuse, on passe d'individu en individu en partageant pour un temps leurs petites réflexions personnelles ; il s'agit souvent de jeunes diplômés qui échafaudent des principes un rien abracadabrants, sont dans leur bulle, rejettent quelque peu la société... On remarque en passant qu'ils sont nombreux à déblatérer leur propos en roue libre, de façon automatique, comme s'ils répétaient à chaque personne qu'ils croisent leur avis sur l'univers... Des conspirationnistes, des anarchistes, de jeunes glands, des marginaux, des types totalement à la dérive, beaucoup de types au mètre carré qui se la racontent et qui semblent quelque peu enfermés dans leur propre bocal... Cette image, à l'instant i, sur une journée, de cette jeune faune austinienne n'est pas vraiment rassurante en soi tant l'on voit des personnes qui, certes, font preuve d'une certaine autonomie en voulant se situer "en dehors du système", mais dont les propos auto-satisfaisants tournent aussi terriblement à vide. Certes, ces continuelles critiques ou théories fumeuses restent au niveau du bla-bla mais on se dit heureusement que ces personnes ne décident pas tout d'un coup (on y songe quand ce type au petit matin dans sa bagnole invite ses compatriotes à s'armer pour tout dézinguer autour d'eux) de se saisir d'une arme pour flinguer quelqu'un qui n'est pas d'accord avec eux... On repense forcément aux dernières tueries de masse : il y a évidemment un petit problème d'arme à feu aux Etats-Unis, of course, mais il y a aussi des individus malades, très jeunes, enfermés dans leur propre vision, prêts à tout pour vaincre, détruire... On fait un pont de trente ans un peu facile, mais ces électrons libres qui, dans le film de Linklater, parlent en boucle de leurs petits points de vue finissent par donner des frissons - une auto-suffisance signe d'une certaine indépendance d'esprit mais d'un esprit souvent un peu torve... Bref. Je referme la parenthèse. Le principe de cette œuvre est assez malin et on doit reconnaître qu'avec trois dollars six cents Linklater fait preuve d'un certain sens créatif. Après (et je risque de donner là un sacré petit bémol), le film, en répétant à l'envi son procédé, en nous noyant de mots (et au-delà de notre petite analyse sociologique à deux balles), donne aussi l'impression de tourner un peu à vide. On fait des sauts de puce dès lors qu'on a gouté le peu de sang (et d'idées) d'un individu pour vite sauter à un autre ; c'est un peu facile, artificiel pour ne pas dire superficiel, et pas toujours d'un intérêt crucial ("le jeune" se prend très au sérieux)... mais bon, un petit film indépendant déjà vintage qui fit date et qui montre au moins un Linklater tentant d'aller toujours de l'avant. Déjà ça, hein.