Mosquito de João Nuno Pinto - 2019
Les récits de guerre aux extrémités de notre planète sont tous plus ou moins bâtis sur les mêmes bases, héritées de Conrad : longues errances striées de violence, où le héros finit par délirer complètement et subit un parcours à la fois physique, moral (il s'agit de traverser une histoire de la guerre) et personnel (on finit toujours plus ou moins par se retrouver (ou se perdre) soi-même). D'Apocalypse now à Valhala Rising et de Requiem pour un massacre à The Big Parade, peu ou prou, c'est la même chose. Mosquito ajoute sa pierre lusitanienne au genre, et se range sans problème à côté de ses aînés : même beauté morbide se rapprochant peu à peu de l'abstraction, même goût pour le mystère de la trame, même expérience limite, même émancipation d'un personnage candide qui se frotte aux horreurs de ce monde. Au départ, un petit jeune prêt à défendre ses valeurs et qui s'engage dans l'armée portugaise dans l'espoir d'aller se fritter avec l'Allemand en France (on est en 1917). Ça ne se passera pas comme prévu, puisque son bataillon est envoyé en Mozambique, où sitôt arrivé, il sème notre héros. Seul, terrifié, aussi expérimenté qu'un faisan de la veille, le petit gars entreprend une odyssée à la recherche des siens, qui le fera traverser le pays sur des centaines de kilomètres, et le confrontera à la-vie-la-vraie sous la forme de rencontres diverses et souvent dangereuses.
Pas une partie de plaisir, cette balade, pour le garçon, qui va endurer mille maux et recevoir mille blessures, subir mille avanies et autant d'humiliations. Mais plus il s'enfonce dans la sauvagerie du pays (magnifique bande-son qui mélange les cris d'animaux et la musique de Justin Melland, et qui vous fait tourner la tête), plus son appartenance au monde des humains semble précaire. Hallucinations, mirages, fantasmes qui deviennent réalité se mêlent aux horreurs de la violence guerrière. Sa transformation physique (de plus en plus décharné, balafré, cabossé de partout) va de pair avec sa découverte de la vie, qui se fera aux forceps : enlevé par un clan de femmes, il sera déniaisé lors d'une séance vaudoue éprouvante ; confronté pendant quelques secondes à un début de camaraderie avec un Allemand déserteur, il le verra crever comme un chien juste après ; tenté par la confiance en ses alliés, il sera trahi comme un bleu. Le spectateur suit ce périple tout aussi malmené que lui ; le film est plein d'événements mais pour autant assez lent, ne refusant pas une certaine abstraction ou un montage tout en subtil désordre pour mettre en valeur la folie sous-jacente du personnage. Très incarné, sanguin, le film n'est pourtant jamais simplement contemplatif, sauf dans ces longues scènes magnifiques où on voit le garçon simplement marcher dans un espace totalement vide de tout. Au contraire, il est bien ancré dans la réalité, et n'hésite pas à parler politique quand il le faut : il y a dans cette image inaugurale des soldats portugais portés à dos d'homme par des Africains toute une critique du colonialisme et de notre regard sur l'Afrique ; et dans ces nombreuses allusions à la mythologie une critique de la guerre "éternelle". En tout cas, voilà un film envoutant et prenant, très réussi et souvent même assez génial.