Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
5 avril 2022

Rush - Voyage à Moscou de Chris Marker - 1990

montand

La Cinémathèque fouille dans ses recoins et nous en sort ce film de Chris Marker complètement inédit, constitué en fait de rushes destiné à un film qui ne verra jamais le jour : le "retour à Moscou", désabusé et légèrement gêné, d'Yves Montand, Jorge Semprun et Costa-Gavras, en 1990, soit juste après la chute du mur, pour y présenter le film de Costa, L'Aveu, à un public encore entre les deux eaux de la dictature à la Staline et de la Perestroïka. Ces trois intellectuels (avec lesquels il faut compter Marker lui-même), qui ont eu avec d'autres le tort d'y croire, qui ont même côtoyé les grosses têtes du Parti, et qui en sont bien revenus depuis, entreprennent un voyage-bilan, tant physique que moral, et la caméra de Marker enregistre tout ça, à l'arrache, captant ici une interview de l'acteur, là une prise de bec pendant la projection, là encore une ambiance de rue. Tel quel, il est difficile de critiquer le film, qui n'est pas fini, mais on remarquera tout de même que le montage est presque inclus dans le tournage, puisque chaque séquence semble être dans un ordre qu'on pourrait imaginer final : le voyage en avion vers Moscou, les impressions sur place, les souvenirs, Moscou aujourd'hui.

pravda

Dans la première partie, Marker laisse s'exprimer librement ces trois grands esprits (Costa se met toutefois en retrait), et on découvre un Montand et un Semprun tout émus de retourner sur les lieux de leurs erreurs passées, réfléchissant à leurs engagements, inquiets de savoir comment le film sera reçu sur place. Gros plans pas toujours à l'avantage de ces visages flétris, fatigués, qui en disent déjà long sur cette génération d'intellectuels qui y ont cru. Ensuite, à Moscou, Montand fait la star, fredonne Les Feuilles mortes pour la télé, anime les débats, prend son air inspiré pour parler de L'Aveu, visite les sites de la ville, se pose en véritable penseur, Semprun ne retrouvant la parole que lors d'un dîner entre eux où son éloquence fait merveille : il pose en deux phrases des questions fondamentales sur le communisme, sur le stalinisme, sur Gorbatchev, et sur les convictions de ces artistes qui se sont tous engouffrés dans la brèche, avec une acuité totale, qui bluffe d’ailleurs pas mal Montand. Toujours très près de ses protagonistes, Marker ouvre un peu plus sa caméra pour filmer ses personnages en confrontation avec le monde réel, ces Russes dont on ne sait pas s'ils sont en colère ou exaltés par le film (ils ne sont pas sous-titrés), mais qu'on sent concernés et émotifs.

montand 2

Les deux plus belles séquences se retrouvent dans la deuxième moitié du film : l'une montre Montand dans une salle de réception, évoquant avec de simples gestes un repas qu'il fit à la grande époque avec les pontes du Parti (et Simone Signoret, dont l'ombre plane du début à la fin du film), avec un mélange de nostalgie, de fierté d'avoir côtoyé les bougres et d'amertume ("Le seul qui a pas dit un mot, c'était Molotov..."). La caméra reste sur les mains de l'acteur, et le moment d'évocation des fantômes est magique, surtout au milieu de ces nappes blanches ringardes et de ce protocole un peu rigide. L'autre beau moment est plus long, et est constitué d'une balade de Marker dans les rues de la ville : il filme juste les habitants se recueillant sur une statue (souillée par les pigeons), vendant la Pravda ou se disputant (mais allez savoir avec les Russes, quand ils s’engueulent ou quand ils échangent juste des propos), et rend merveilleusement le quotidien d'un pays qui se réveille de 80 ans de dictature, encore pris dans les atavismes de toujours mais émergeant peu à peu. Le film se termine bien entendu sur des chats, on ne change pas un ailurophile qui gagne. Pour le reste, la chose est beaucoup trop brute de décoffrage pour vraiment marquer, et rempli de séquences répétitives et longuettes (1h50 de métrage tout de même) que le bougre aurait certainement élaguées si le film avait dû voir le jour. Reste une rareté intéressante en elle-même...

chat

Marker au marqueur ici

Commentaires
Derniers commentaires
Cycles
Ecrivains