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10 février 2022

LIVRE : Première Personne du singulier (Ichininsho Tansu) d'Haruki Murakami - 2022

9782714495471,0-8058501C'est toujours la fête pouêt-pouêt quand tombe le nouveau Murakami, décidément un auteur que j'adore depuis toujours, même si je ne comprends jamais rien à ses bouquins. Ce sera encore le cas avec ce recueil de nouvelles (genre dans lequel il excelle particulièrement) qui cultive un mystère étrange, et déploie un charme certain. Mais un charme fait justement de ces bizarres impressions assez indicibles, de ces sensations floues que le maître sait déclencher sans qu'on ne les voit jamais venir. J'ai beau scruter ses livres depuis longtemps, je ne parviens toujours pas, à l'heure où je vous parle, à savoir comment il fait pour raconter des histoires aussi barrées et pourtant nous toucher durablement. C'est de la magie, que voulez-vous. En tout cas on s'embarque une nouvelle fois dans des trames simples en apparence (une rupture, un rendez-vous amoureux, une discussion sans façon) et deux pages plus loin on est dans un épais mystère, dans une ambiance fantastique discrète, qui nous ouvre mine de rien des abîmes métaphysiques, tout ça en gardant un ton hyper modeste et sans esbroufe. Ces 8 nouvelles ont en commun, outre leur narration à la première personne (ce qui donne ce titre un brin facile), qu'elles ont toutes (ou presque...) pour base la musique, art vénéré par Murakami. Et toute la musique, puisqu'on peut y croiser autant Schumann que les Beatles ou Charlie Parker. A partir d'une évocation, d'un souvenir de mélodie, d'un morceau qui lui trotte dans la tête, le narrateur de ces textes plonge dans le vertige, dans l'étrange : une ex-petite amie qui lui donne rendez-vous pour un concert, puis qui disparaît et est remplacée par un mystérieux petit vieux ; un disque qui n'existe pas de Parker et qu'il trouve justement dans les bacs d'un disquaire ; une femme laide qu'il trouve magnifique du fait qu'elle écoute le Carnaval de Schumann ; le fantôme d'une jeune fille qui serre sur sa poitrine un album des Beatles...

Ce n'est rien, juste un glissement du réel, un très léger décalage, mais tout à coup, le monde réel ne ressemble plus vraiment à celui qu'on connaît. Certaines nouvelles plongent les deux pieds en avant dans le fantastique ("La Confession du singe de Shinagawa" et son bizarre singe qui vole les noms des femmes qu'il aime, on dirait du Weerasethakul), d'autres s'en approchent discrètement sans jamais y aller franchement ; et ce sont ceux-là qu'on préfère, il faut le dire, tant Murakami y use d'une délicatesse d'écriture, d'une subtilité complète pour nous mener par le bout du nez. Travers fréquent chez lui : il se répète beaucoup, et vous pouvez être sûr que si vous n'êtes pas concentré sur une phrase, ce n'est pas grave, vu qu'il la réécrira autrement deux paragraphes plus loin. Si vous êtes fan du maître, vous pourrez trouver aussi qu'il se répète d'un livre à l'autre, et certaines nouvelles sont un brin attendues ("Sur un oreiller de pierre" ou "Recueil de poèmes de Yakult Swallows"). Mais c'est vraiment pour ne pas faillir à ma réputation de chipoteur : ce livre se lit avec un plaisir constant, et une admiration totale pour ce type qui sait toujours nous emmener vers des voies inattendues, au bord d'un gouffre qu'on imagine sans fond, et qui le fait avec une telle facilité. Des nouvelles troublantes et profondes, alors même qu'on ne les comprend pas : la poésie dans son plus bel état. (Gols 09/02/22)


C'est cela, en effet, cette petite musique murakamienne qui avec un vocabulaire des plus simples nous emmène dans des territoires vite mystérieux. Il y a cette capacité chez l'écrivain à vouloir, semble-t-il, sauver les "choses" de l'oubli, qu'il s'agisse d'une femme aimée, d'un poème, d'un instant précieux, ce besoin de faire écho à quelque chose avant qu'il ne s'évapore définitivement. Ce n'est pas rare d'ailleurs, dans ces nouvelles, qu'un événement passé trouve un soudain rebondissement dans un passé plus proche et provoque l'acte d'écriture. L'amour, les rencontres fortuites, les rendez-vous manqués, les énigmes, la musique, Murakami joue en effet sur du velours au cours de ces huit nouvelles un brin inégales, forcément. Lorsqu'il s'attaque aux femmes, beautés pures ou moches, femmes attirantes ou repoussantes, on sent que Murakami est particulièrement dans son jardin et l'auteur nous livre quelques histoires vite attachantes : "Sur un oreiller de pierre" avec ces poèmes arrachés de l'oubli, "La crème de la crème" avec ces mystères qui s'épaississent au fur et à mesure de la nouvelle, "with the Beatles" avec ce brother qui "ressuscite" quelques années plus tard sa sister, un amour de jeunesse du narrateur, "Carnaval" avec cette femme moche passionnée de musique (et une obsession pour ce morceau de Schumann très bien rendue) ou encore "La Confession du singe de Shinagawa" où l'extraordinaire côtoie le poétique (ce vol du nom d'une femme, c'est pas rien) ; certes, les petites nouvelles sur ce disque inventé, cette passion pour le base-ball qui se traduit en poèmes un peu ridicules ou cette femme toxique sont un peu plus anecdotiques mais on nage dans ce petit recueil en se disant en effet que l'univers de Murakami continue de garder son aura précieuse. En attendant l'ultime pavasse du maître... (Shang 10/02/22)

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