Quand le Clairon sonnera (The Last Command) de Frank Lloyd - 1955
Plantez une poignée d'hommes dans un fort face à 8000 militaires armés jusqu'aux dents, et c'est pas la peine d'aller chercher plus loin : vous l'avez, votre western efficace et noble. Frank Lloyd l'a bien compris, et quelques années avant John Wayne, situe le climax de son film à Fort Alamo, mythique lieu de résistance et endroit exact de l'Héroïsme à l'américaine, où tombèrent des légendes comme Jim Bowie ou Davy Crockett. Mais avant d'arriver à ce point, le compère prend le temps de nous montrer les tenants et aboutissants politiques d'une guerre, et le fait avec un sens de la mesure parfait. Mexicains et Américains se disputent le territoire du Texas, chacun a ses raisons, ses nobles buts et ses petitesses, on écoute patiemment les arguments des uns et des autres et on regarde bouillir la marmite, aussi tristes que ces dirigeants politiques embringués dans une guerre inévitable qu'ils n'ont pourtant pas voulue. Au milieu de toutes ces tergiversations, on trouve donc Jim Bowie, sous les traits burinés du grand Sterling Hayden. Le gars est à cheval entre les deux camps : blanc et américain, il est pourtant marié à une Mexicaine et ami avec Santa Anna, un général mexicain joliment campé en schizophrène légèrement mégalo. A lui seul, Bowie parviendra-t-il à éviter la guerre ? Rien n'est moins sûr, d'autant qu'il est embêté par des gusses qui lui cherchent des noises avec leurs longs couteaux (Ernest Borgnine, qu'on aime toujours retrouver), qu'une petite gorette de 17 ans lui fait les yeux doux, et que femme et enfants passent l'arme à gauche pour cause de choléra. Aïe, la tension monte, et notre Bowie se réfugie donc dans le dernier bastion entre les deux camps, Alamo, avec ses potes, pour subir l'assaut ultime. Il y a de l'héroïsme dans l'air.
Redoutablement efficace malgré une bonne heure uniquement faite de dialogues et de tactiques militaires, The Last Command vaut surtout par sa sagesse : le film donne la parole aux deux camps, ne tranchant pas de façon manichéenne entre eux. Très juste et objectif, le film entier est à l'image de son héros : Bowie n'est pas tout blanc, n'est pas tout noir, mais est doté d'une humanité et d'une complexité que Hayden rend parfaitement bien. Ce sont donc plus les scénaristes que le metteur en scène qu'il faut féliciter ici, même si celui-ci ne démérite pas du tout, aérant très agréablement son film en multipliant les décors, en lui apportant quelques respirations bienvenues (la bagarre au couteau, quelques jolies cavalcades), dynamisant les longues scènes dialoguées par une belle fluidité de montage. Mais c'est bien sûr dans l'assaut de Fort Alamo qu'on prend vraiment son pied : avec une vraie brutalité qui rend justice à la violence de la bataille, Lloyd montre cette poignée d'êtres humains assaillie par une armée entière, et les fait tous exister avec amour et bienveillance. Outre les héros, on peut ainsi s'attacher à un prêcheur un peu illuminé ou à un petit jeune (Ben Cooper, excellent), seul survivant du massacre, rival amoureux discret de Bowie. Le chaos est total, mais la mise en scène est concentrée et précise, ce qui augmente la grandeur de la séquence. On n'est pas, certes, dans le génie que Wayne déploiera avec sa version de l'histoire, mais on a quand même là de quoi rassasier sa soif de sacrifice et de grandeur d'âme.