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28 janvier 2022

LIVRE : Anéantir de Michel Houellebecq - 2022

aneant10Cela peut paraître une drôle d'idée que de passer les fêtes en compagnie de Michel H. le dernier écrivain physiquement mort mais moralement vivant de l'hexagone (ou vice versa d'ailleurs). Le titre, à lui seul, présage de moments primesautiers et délicatement tendres. Alors oui, avouons-le, il est vrai, le thème principal ici de cet ultime ouvrage est la vieillesse et la mort, deux thématiques pour le moins guère vendeuses à notre époque... Houellebecq, l'homme de tous les cynismes, réalise sur plus de 700 pages un ouvrage forcément acide par endroit (la famille, cette plaie, souvent, l'amour, cette désillusion, évidemment...) mais cette causticité (et cette lucidité en un sens...) ne se départ jamais complétement d'un indécrottable romantisme (si, si, disons le mot...). Oui, il sera question de sujets aussi divers que le terrorisme (contre lequel il faut être sans pitié...), de migration (Michel, pardon, son personnage Paul et ses idées pour le moins assez arrêtées sur la question, pour ne pas dire tranchées - et qui donneront lieu à débat, as usual), de politique et d'élection - on est en 2027 déjà (triste continuité molle... l'économie, ce seul véritable ressort de la guerre...) et j'en passe : oui, Houellebecq est encore capable de faire bouillir la marmite en traitant de ces éternels sujets d'actualité et tentant d'apporter sa petite pierre à la réflexion... Si la trame sur le terrorisme est un fil rouge que l'on coupe un peu brusquement en route, il n'en sera pas de même sur la trajectoire de son personnage principal qu'il se décidera de conter jusqu'au bout du bout (en évoquant au passage ses relations avec ses amis, sa femme, ses frères et soeurs, son père) donnant presque à cette oeuvre des allures de testament (mais Houellebecq, on le sait, même réduit en cendres, continuera d'écrire - et même quand il se taira, ses écrits resteront bien au-dessus de la moyenne des publications...).

C'est donc un roman foisonnant, d'une fluidité incroyable (la plume houellebecquienne semble n'avoir jamais été si légère - il y a moins de gros morceaux de bravoure technico-philosophico-économiques, évoquant les questions même les plus "techniques" avec une belle simplicité (et sans simplisme pour autant of course)), que nous propose cette fois notre bon Michel ; au départ, on ricane un peu devant la gabegie (personnelle) de son personnage principal : Paul, donc, c'est son nom, travaille comme une sorte de chef de cabinet au ministère de l'économie ; des menaces sur internet voient le jour (en particulier contre le ministre de l'économie, potentiel candidat à la future élection) et des actions terroristes d'envergure ont lieu qui menacent le commerce international ; Paul, dont le père travaillait à la DGSI, est en contact avec certains responsables des services secrets français et apporte sa petite part de réflexion (grâce à son père) sur la question ; il continue de jouer également un précieux rôle de conseiller auprès de son ministre de tutelle et ami Bruno... Voilà pour ce pan professionnel relativement actif et plutôt satisfaisant dans l'ensemble... Pour le pan personnel, on touche un peu plus au marasme : une femme avec laquelle depuis dix ans il n'a quasiment plus de rapports (sexuels et verbaux...), un père qu'il voit de loin en loin, une sœur catho un peu trop perchée, un frère mou de genou et une connasse de belle-sœur journaliste. Un beau tableau de chasse. Les réflexions fusent et on sent que la famille va encore en prendre pour son grade... Et puis, après l'AVC de son père, une certaine union familiale se recrée, chacun tente à nouveau de s'amadouer ; cerise sur le gâteau, Paul a de nouveaux des rapports sexuels avec sa femme et l'on se demande si la tendresse, bordel, ne va pas finir au bout du compte par supplanter cet évident cynisme ambiant... un Houellebecq avec des "relents" d'optimisme (quand la sexualité va (et donc une certaine forme d'amour, lâchons l'info), tout va ?) : Diable !!!!

Au niveau de la forme, on glisse (on enquille les pages gloutonnement), au niveau du fond, il y a matière, comme on dit, sur des sujets aussi triviaux que généraux d'ailleurs, mais on pourrait également parler d'humour (sans doute un peu plus effacé, un peu moins petit malin mais toujours malicieusement présent), de cet onirisme pas piqué des hannetons (Paul et le monde des rêves), de descriptions de la nature qui coupent les bras ou encore de quelques petites références littéraires qui font toujours chaud au cœur (Pascal, l'éternelle source de cogitation, d'inspiration, dont le sens de la formule demeure inégalable). Houellebecq, en effet, distille toujours autant de petites piques envers ses personnages, dégommant ici une personne vénale, conchiant là un animateur télé ou ricanant de vacanciers lambda. On apprécie tout autant ces divers passages sur les délirants rêves de Paul, mélange de surréalisme, d'absurdité, de métaphores plus ou moins sybillines et de morbidité (bien aimé entre autres ce rêve pour le coup relativement limpide au niveau du sens où Dieu débarque brusquement les passagers d'un bus...). Mais le Houel, c'est aussi, mes bons amis, une plume, tout autant capable de trousser des dialogues au taquet que des passages d'une belle et tendre simplicité sur la nature - plus le livre avance, plus le personnage prinicpal s'abandonne à la contemplation de son environnement et l'on sent là un Houellebecq, débarrasé de ses fameux oripeaux cyniques, tout aussi touchant... Enfin, oui, la littérature, encore et toujours, et notamment disais-je ces petites citations de Pascal (alors même qu'une certaine chape de plomb tombe sur le récit - mais une noirceur loin d'être totale, attention) que le Michel distille savamment. Bref, un nouveau roman que l'on dévore et sans doute déjà le meilleur bouquin de l'année 2022 alors qu'elle n'a même pas encore commencé.   (Shang - 30/12/21)


Sans titreEh bien j'avoue pour ma part une certaine déception à la fin de cette longue lecture. Bon, je reconnais que Houellebecq me déçoit un peu ces derniers temps, et que depuis le chef-d'oeuvresque La Possibilité d'une île, modèle de romantisme contemporain (et pas si pessimiste que ça, ajouterais-je à l'adresse de mon camarade), le gars me laisse un peu pantois. C'est le cas ici avec ce livre qui me semble un poil paresseux et bâclé tout de même : mon compère parle de tous les sujets brassés par le roman. Ils y sont, c'est vrai, mais aucun n'est mené au bout, tout semble n'obéir qu'à des pulsions momentanées de l'auteur et se perdre ensuite, faute de plan, de suivi, d'envie. Quid de ces cyber-attentats ? de cette élection présidentielle ? de ce père atteint de sénilité ? Ils s'arrêtent en chemin, et Houellebecq ne cherche jamais à nous donner la clé de toutes ces pistes. Pour ce qui est de la vague d'attentats qui frappe ce fameux ministre, on a pourtant envie de lire ce que ce salopard de Michel en pense, lui qui sait toujours à merveille prévoir l'avenir, lire son temps dirais-je (et à propos, si on l'écoute, le prochain président devrait être un type à la Hanouna, ce qui pourrait bien effectivement arriver). Mais après de complexes démonstrations ésotérico-complotistes, le gars laisse tomber et préfère parler d'autre chose. C'est le cas de pas mal d'autres sujets abordés dans Anéantir, et ce relâchement de la trame nous laisse franchement sur notre faim. Autre défaut, encore plus dommageable : l'écriture du bougre a une nette tendance à lever le pied. Si, effectivement, on retrouve des traces de son génie dans les notations sur le paysage, on tique bien souvent devant ces phrases très plates, cette ponctuation fluctuante (eh, Michel, il y a d'autres signes que la virgule), ces maladresses de construction qu'il ne se donne même plus la peine de corriger. En gros, l'écriture est assez moche, ça m'arrache un bras de vous le dire mais c'est ainsi. Certaines pages, très répétitives, lassantes, décrivent la réalité avec une pauvreté assez incroyable. Je veux bien entendre que c'est justement l'effet recherché, vider le style, revenir à une écriture quasi-blanche, mais il a alors la main trop lourde : à force de faire mine de ne pas avoir de style, il finit par n'en pas avoir effectivement. Houellebecq se reposerait-il un peu trop sur ses lauriers ?

Ceci dit, si vous passez les 550 premières pages (...), après tout pas si pénibles que ça à lire tant effectivement la lecture est facile et fluide, souvent drôle et parfois pertinente, vous arriverez à une partie magnifique, qui vous mènera jusqu'à la fin. Là, en parlant de maladie, de solitude, d'amour retrouvé, on retrouve le Houellebecq qu'on aime, celui qui arrête de jacasser sur telle célébrité télévisée ou de prophétiser on ne sait quelle provocation, celui qui s'adonne à ce qu'il sait faire de mieux : décrire l'amour dans toutes ses dimensions, et développer une mélancolie douloureuse qui vous plonge dans la tristesse. Car cette fin de roman est très triste et en même temps étonnamment apaisée. On y retrouve quelques élans des grands romans du passé, ceux qui étaient vraiment intéressants, une sorte de romantisme noir, de nostalgie d'un monde enfui, de désespoir poli à la Schopenhauer. C'est ce Houellebecq-là qu'on aime, beaucoup plus que celui qui joue au sociologue ou au commentateur politique. On termine ce roman touché par ce spleen qui s'exprime, par cette fragilité, frappé par ces quelques magnifiques pages sur la simplicité des choses et la douce fatalité de la mort. Et tant mieux, car si on n'avait eu que les 500 premières pages, on aurait trouvé Houellebecq bien paresseux et un brin fatigué.   (Gols - 28/01/22)

Commentaires
S
C'est comme une très longue intro, et qui part un peu dans tous les sens, avec son triple fil rouge (d'ailleurs un peu vert par endroits) des élections, du terrorisme et du retour à la famille, une intro de six cents pages, mais qui accouche des cent dernières, qui sont un très beau petit roman.
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