Murder a la Mod de Brian de Palma - 1968
En plein trip Nouvelle Vague, De Palma fait ses débuts en se fendant d'un film tout ce qu'il y a de plus foutraque et moche, mais en même temps tout ce qu'il y a de libre et de personnel. Sans un sou en poche, mais armé d'une belle confiance en lui et d'une bonne dose, déjà, de talent, le voilà donc marchant, déjà, sur les traces de son maître Hitchcock (8000 détails formels jalonnent le film, depuis la bonde de la douche jusqu'à la filature excessivement longue), en inventant une histoire de meurtre sordide observée par trois points de vue différents. Soit donc un film assez soigneusement monté et découpé en trois parties : 1/ la préparation du meurtre sordide d'une femme mannequin objet de toutes les convoitises, avec un portrait cruel et cynique du petit milieu huppé et branché de Manhattan ; 2/ le meurtre en lui-même et 3/ la vérité sur son (ses) vrai(s) coupable(s) selon le point de vue où on se place. Comme en plus, De Palma a vu Godard, Truffaut et Varda, on a droit à quelques envolées toutes soixante-huitardes sur la trace des motifs de ses contemporains français, notamment sur la façon de filmer le temps (cette heure fatale autour de laquelle on tourne, comme dans Cléo de 5 à 7) ou sur l'utilisation du cut-up (comme dans les premiers JLG) ou sur le mélange de plans documentaires filmés dans la rue et de plans studio (comme dans Les 400 coups entre autres). Je vous autorise aussi à voir là-dedans des allusions à Rashomon, pour parfaire la cinéphilie compulsive du gars, qui à l'époque recycle frénétiquement ses modèles (qui a dit qu'il le fait toujours aujourd'hui ?). Comme en plus, dès le départ, la carrière de De Palma est d'une homogénéité impressionnante, malgré l'éclectisme de ses films, on a aussi là-dedans, en germe, toutes les thématiques à venir : la mise en scène trompeuse, qui cache des choses suivant le point de vue ou le champ ; le burlesque mélangé à l'horreur ; le faux coupable ; l'Amérique considérée comme un vaste terrain de complots tous azimuts ; et même notre bon William Finley, déjà de la fête en ces années 60.
Bon alors bien sûr, c'est le moment ou jamais où il fallait être rebelle, expérimental et mauvais garçon : Murder a la Mod est donc vraiment rock'n roll, pour le pire et le meilleur. Si on apprécie le ton bordélique de l'ensemble et ses emprunts au théâtre d'avant-garde et au warholisme, on aime moins l'image affreuse, et la façon un peu agaçante de tordre tous les plans pour jouer au malin : les ombres de personnages, grimaçants, sont filmés avec une laideur totale, que ce soit les hommes, tous pourris, tous monstrueux, ou les femmes, regardées de façon un brin gênante par un cinéaste voyeur un peu priapique. Dans un noir et blanc crayeux, De Palma monte des plans en rafale, cherchant la gêne, le malaise : il y arrive, certes, mais justement : le mauvais goût est permanent, et on eût aimé que le film ne soit pas qu'une forme, douteuse qui plus est, mais raconte aussi des choses, nous présente de vrais personnages, travaille sur une histoire un peu plus concrète. Mais baste ; si le scénario est foutraque, si la réalisation même laisse encore parfois à désirer, le film est suffisamment captivant par sa façon de faire de la mise en scène le sujet principal de l'action. Déjà fasciné par le pouvoir des images, le compère s'amuse avec les limites du cadre, avec les mouvements de caméra, qui peuvent ou non dévoiler tel ou tel détail qu'on n'avait pas vu et qui révèle le pot aux roses. Après une première vision du meurtre, il rembobine, revient quelques minutes avant, adopte un autre point de vue, et refait tout sous un autre angle, nous révélant des vérités cachées (oui, comme dans Snake Eyes, Blow out ou Redacted). Passionnant de voir un jeune cinéaste déjà en possession de tous ses moyens intellectuels et théoriques. On lui pardonne donc ses excès de jeunesse (vouloir tout filmer de façon stylé, utiliser tous les boutons de sa caméra, regarder les femmes comme un puceau libidineux, tirer le jeu des acteurs vers l'hystérie, compliquer parfois inutilement la trame déjà complexe) et on se laisse aller à ce film expressionniste et baroque, insolent et pop, grinçant et violent, en se disant que, oui, en 68, un génie est né.