Inside de Bo Burnham - 2021
J'avoue avoir hésité à poster ce texte, tant j'ai du mal à décider si Inside est à ranger das la catégorie "cinéma" ou "one man show". Allez, fendons-nous donc d'une petite critique, d'autant que la chose est remarquable, et qu'on a trop de textes négatifs sur ce blog (9856 sur 10000). Ce Bo Burnham, que je ne connaissais pas, fait partie visiblement des méga-stars de la scène aux States, et, en pleine préparation de son nouveau spectacle, le voilà pris dans le fatal confinement qui nous a tous touchés (message pour la postérité : il y a eu le Covid). Enfermé chez lui, et ayant une certaine tendance à la dépression, notre bon gars se pique donc de réaliser tout seul ce petit film, destiné à dresser un état des lieux de l'Homme Blanc Civilisé et Connecté à l'heure de l'enfermement et de la solitude forcée. Je ne sais pas ce que le gars donne en spectacle, mais en tout cas, il montre dans cet essai une imagination, une créativité et une justesse assez géniales. Volontairement décousu, passant d'une émotion à une autre, toujours salement blues mais toujours très drôle, le film enchaîne les scènes, les chansons, les situations, avec un brillant sens de la mise en scène. Filez à Burnham un élastique et une lampe-torche, il saura en tirer des merveilles et parviendra à les utiliser pour parler de la solitude et du pathétique de sa situation. A cheval entre le récital de chansons, la comédie musicale, le journal intime et le happening, le gars trousse des petites mises en scène parfaitement poilantes. Il faut dire qu'il est très compétent pour écrire des mélodies et pour les mettre en mots : les chansons sur les pages Insta des femmes occidentales ou sur les "sextos" sont hilarantes, et réalisées avec soin, même si le gusse est obligé de faire avec les moyens du bord. Il peut s'adonner aussi facilement à l'expérimental, commentant par exemple, comme d'autres le font avec les jeux vidéo, sa propre vidéo, puis commentant le commentaire de sa vidéo, puis commentant le commentaire du commentaire, etc.
On se marre, on s'épate devant l'inventivité du gars, on applaudit devant sa façon de faire beaucoup avec peu, on aime le côté "Droopy" de son jeu... mais finalement, là n'est pas l'important. Ce qui compte, c'est le portrait sensible bien que préoccupant de la jeunesse d'aujourd'hui, le film étant profondément ancré dans le XXIème siècle : ce qui en ressort est une sensation de dépression profonde, d'à-quoi-bonisme et de cynisme, de monde perdu et refermé sur son propre nombril à l'heure où la pandémie frappe. La mise en abîme, qui dépasse cet aspect "Vache qui rit" dans le sketch cité plus haut, réside là-dedans : Burnham se sert des armes qu'il dénonce, enfant d'internet et des écrans compulsés frénétiquement, véritable geek dépendant des autres pour exister ; dès qu'il en est privé, il se retrouve à la porte de sa propre vie, comme en atteste la scène finale, poignante. Et nous, spectateurs bien souvent mal à l'aise devant le spectacle de ce comique qui, à force d'accumuler les couches, finit par tourner à vide, nous sommes renvoyés à notre été de voyeur, confinés nous-mêmes dans nos habitudes de réseaux sociaux à la con. En tout cas, ce film fait du bien par où il passe et laisse une durable impression de malaise au bout du compte, même si on s'est bien marré à la vision. Un moment inédit et insaisissable, moi je dis bravo.