Les Assassins de l'Ordre de Marcel Carné - 1971
On continue notre odyssée Boby Lapointe (...) avec cette œuvre dont, je l'avoue, j'ignorais l'existence jusqu'à ce que Arte (gloire à elle) ne se pique de nous la faire découvrir. Boby (orthographié avec 2 "b" au générique) n'a qu'un petit rôle là-dedans et c'est tant mieux, il est mauvais comme tout. On préfèrera noter que ce film est l'occasion de sa rencontre avec Jacques Brel, rôle principal de cette production assez miteuse des années 70, époque où Carné se voyait confier des téléfilms insanes en lieu et place des grands films patrimoniaux de jadis. Et là, attention, on est dans le haut du panier des films à thèse surannés : Brel interprète un juge en charge d'une pénible affaire de bavure policière. Un trio d'enquêteurs pas très fins (avec à leur tête, un Michael Lonsdale (orthographié Michel au générique) parfaitement immonde) assassine un suspect lors d'une garde à vue un peu musclée. Soudoyant les témoins, manœuvrant en sous-main, engageant l'avocat le plus matois du pays (Charles Denner, parfait), ils tentent de passer entre les mailles de la sagacité du juge Level (Brel, donc), bien décidé à faire de leur cas un exemple de la brutalité policière et un modèle d'indépendance de la justice. Je ne vous cache pas que ça n'ira pas sans mal, et que même la famille du juge sera menacée, faisant vaciller les convictions morales pures de notre homme. Le soutien de son fils, galvanisé par les événements de 68 et avide de justice, sera précieux. Brel parviendra-t-il à l'inaccessible étoile ou devra-t-il remballer ses bonbons ? Et Boby Lapointe dans tout ça ? ah oui, non, il fait un patron de bistrot et il a deux répliques.
Pour être gentil, on dira que le film n'est pas complètement nul et se suit sans déplaisir. On aperçoit même quelques jolies pensées, surtout tournant autour de la jeunesse, que Carné regarde comme la génération porteuse d'espoir : la scène de soulerie de Brel au bistrot, où il rencontre les amis de son fils, montre un cinéaste désireux de faire se rencontrer les deux générations autour d'un idéal commun, c'est mignon. Mais à part ça, et quelques beaux numéros d'acteur, on se retrouve très vite face à un film à la Yves Boisset (sans l'action et sans le suspense), ce qui n'est pas complètement la définition du bonheur. Tout est attendu et surligné, la ligne de partage entre bons et méchants est soigneusement marquée (côté bons : les juges, les jeunes, les putes ; côté méchants : les notables, les politiques, les officiels), c'est épais comme un bon vieux machin schématique et indigné des Dossiers de l’Écran. Brel est pas mal, mais se laisse aller de temps en temps à une démonstration de virtuosité qui lui sied pas à merveille et qui gâche certaines séquences (son côté chanteur écorché vif le dessert pour le coup), et la partie féminine de la distribution fait frémir. C'est dans les seconds rôles, décidément, qu'il faut aller chercher son plaisir ; ni dans le scénario, surfait et littéraire, ni dans la mise en scène : Carné s'y montre d'un amateurisme tout de même étonnant chez un vieux briscard comme lui, chaque scène semble artificielle, c'est tout juste si on ne voit pas les scotchs posés au sol ou si on n'entend pas le "Action !" de départ. Dans le montage, c'est d'une maladresse d'adolescent : observez toujours le début de cette scène de soulerie : on y décèle le moment où les acteurs commencent à jouer, Carné ayant conservé la demi-seconde où ils sont encore en pause... Tout ça, et la scolarité des décors, des situations, des costumes, empêchent de croire à cette histoire édifiante, dont on finit par se foutre quelque peu (et on se retrouve même secrètement à prier pour que Lonsdale triomphe, vu qu'il est dix fois meilleur acteur que Brel). Au suivant...