Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage - 1999
Benoît Mariage a cette particularité, avec ses potes de ce petit groupe de cinéastes un peu barrés de l'époque, de prendre le cinéma belge un peu plus en adulte, de ne pas considérer que le mythique "humour belge" est une fin de non-recevoir qui se suffit à lui-même, et d'aller chercher d'autres voies pour s'exprimer que le comique troupier pur. Il y a pourtant du comique troupier dans Les Convoyeurs attendent, et on ne manque pas de s'esclaffer comme un âne devant le pathétique des situations : Mariage est aussi de son temps et de son pays, et regarde comme beaucoup de ses compatriotes les êtres humains comme des petits êtres veules, ridicules et un peu tarés. Il ne peut s'empêcher de jeter sur eux un regard supérieur, on ne change pas un état d'esprit en un film. C'est la limite du truc : les personnages, grimaçants, caricaturaux, tas de cassoss dégénérés regardés avec toute la morgue de celui qui n'en est pas ou qui en est sorti. Le point de départ improbable de la chose : une famille de prolos de base, des rêves d'argent, et la décision paternelle d'entraîner le fiston dans un challenge : le record mondial du nombre de portes ouvertes et fermées. D'où entraînement, désillusions et portrait d'un homme populaire et fatigué, autoritaire et anxieux, colérique mais tendre. C'est le départ, mais le film est surtout l'occasion d'une suite de scènes drolatiques ou plus grinçantes, mettant en scène aussi la petite gamine de la famille, l'entraîneur de Michel ou la communauté hyper-belge qui entoure cette smala déclavetée.
Une fois ce postulat "canal +" posé, on se rend compte que le film est un peu mieux que le gros gag annoncé. Dans un noir et blanc assez ambitieux parce qu'il donne au film une patine arty et brute, Mariage décrit un état d'une certaine classe sociale déboussolée : celle des ouvriers du fin fond des petites villes oubliées de la Belgique. Le père, campé par un Poelvoorde en totale liberté mais assez touchant, est un bloc de virilité et de paternalisme mal compris, et on est constamment surpris par ses pointes de furie beauf qui s'enchaînent avec des preuves de tendresse envers sa famille. Il y a dans ce film un côté très sincère (est-ce autobiographique ?) qui annule l'aspect grosse marrade. Au contraire, sporadiquement, il atteint, mais oui, une certaine poésie, un peu trash parfois, un peu convenue de temps en temps, mais bien présente. L'aspect décousu du scénario, qui n'arrive pas à bien préciser ce qu'il a envie de raconter, ajoute finalement à l'impression qu'on a de souvenirs épars qui viendraient à l'esprit de Mariage, un peu comme un Amarcord belge. Roublard, pas immense, too much souvent, mais pas si mal finalement, et assez touchant.