Petite Maman de Céline Sciamma - 2021
Ça devient une habitude et nul ne s'en plaindra : Sciamma accumule les grands films. Ça va faire hurler d'indignation la plupart de nos lecteurs, qui ne voient en elle qu'une sage élève des grandes écoles, mais le fait est qu'après le grand Portrait de la jeune fille en feu qui valait son pesant d'ambition, elle revient en très grande forme bien qu'en mode mineur avec ce Petite Maman. En mode mineur, parce que la modestie totale du propos et la brièveté de la chose (1h10), associées à une économie de moyens totale, aboutissent à un film qui n'a pas une énorme portée de tir, mais qui parvient à vous émouvoir doucement et durablement. Moins polémique, moins revendicative, Sciamma prend un chemin buissonnier et c'est tout aussi beau que quand elle envoie du bois. Cette fois, elle s'attaque à un genre inattendu de sa part : le fantastique. Soit donc Nelly, petite môme un peu triste depuis que mamie est morte et maman en bisbille avec papa ; au cours du passage de la petite famille dans la maison familiale pour vider les lieux, elle fait la connaissance d'une petite fille du voisinage, qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Et pour cause : Marion n'est autre que la mère de Nelly, et par un curieux saut dans le temps les deux fillettes se rencontrent au même âge. Elles vont nouer une étrange amitié, s'éprouver l'une l'autre dans un troublant jeu de miroir, constater pour l'une que son avenir sera beau, pour l'autre que son passé fut insouciant.
C'est presque rien, c'est presque transparent, c'est presque inconsistant. Mais franchement connaissez-vous un autre cinéaste qui filme aussi bien les minuscules changements de direction du vent, la naissance d'un orage, une forêt frémissante, un rayon de soleil tombant sur un pan de mur ? On ne cesse d'être sidéré par la sensibilité totale de ce cinéma, sensitif, minéral, incarné. Sciamma a toujours fait passer le physique avant l'esprit, et ce film-là est tout à fait dans cette continuité : les minuscules émotions de Nelly et Marion passent par les corps, par les éléments naturels, par la chair et le sang. Filmant ses deux héroïnes dans leur contexte, très attentive à celui-ci et à la "traduction" que le décor peut donner de leurs émois, elle rend vraiment à hauteur d'enfant cette petite aventure étrange, en évitant absolument l'aspect trop psychologisant. Il y aurait eu de la place pour ça dans cette histoire d'enfance brisée et de tristesse transmise en héritage, mais Sciamma reste du côté des jeux, de la découverte de l'autre, de l'impression par le corps de l'altérité. Ça paraît rien, mais ça change tout : Petite Maman devient doucement émouvant, malgré le peu d'effets employés (sauf la scène sublime de voyage en barque, accompagnée d'une musique très sentimentale qui ose enfin exploser après tout un film de retenue : Sciamma sait comme toujours utiliser sa bande-son avec génie), et devient également un portrait pertinent de l'enfance, grand sujet éternel de cette cinéaste. Ce film très petit n'est certes pas son meilleur, il manque peut-être un peu de matière dans ce dispositif fantastique très habile, et une fois le projet posé, le film ne raconte plus grand-chose ; ce ne sera sûrement qu'une parenthèse enchantée. Mais des films mineurs comme ça, j'en veux bien des dizaines. (Gols 17/06/21)
Un Sciamma a minima mais qui possède en effet tout autant de charme que ses films plus fouillés ; on est plus ici du côté de la fibre des Courgettes que sur le versant incandescent de l'adolescence ou de la romance passionnée mais la réalisatriste-scénariste parvient une nouvelle fois à nous faire toucher du doigt toute la fragilité de son thême : l'enfance, ses doutes, ses peurs, son innocence, sa force ; ici le propos est clair : pour pallier à l'absence de sa mère, une petite fille s'imagine la rencontrer à son âge, huit ans ; une façon pour elle de s'approcher au plus près de cette adulte fuyante - et cela marche... Une idée qui repose sur presque rien mais qui donne toute sa puissance à cette oeuvre - qui donc, étant enfant, a vraiment pris le temps, ne serait-ce qu'une fois, d'imaginer ses parents à son âge ? Sciamma ose la chose, distille ses rebondissement comme des pétales de fleur qui s'égarent dans le vent (la construction d'une cabane, une petite pièce jouée par les filles, la confection de crêpes - c'est moins d'action que dans RobCop, par exemple) et l'on passe une heure sur un fil le rouge aux joues, se projettant comme jamais dans ce petit fantasme enfantin. Gols a eu raison d'insister sur l'aspect "minéral" de la chose (le travail sur le son, sur les décors), j'insisterai pour ma part sur la direction des deux gamines que j'ai trouvée(s) en tout point excellente(s). Dieu qu'elles sont justes et encore plus, dirais-je, quand il s'agit pour ces deux-là de jouer aux adultes dans une "pièce" où chaque mot, chaque phrase sonne à la perfection ; le film repose presque exclusivement sur ces deux chtites et aurait pu, en d'autres mains moins expertes, tourner au ridicule, à la chienlit... Là, point, Sciamma parvient toujours à donner à leur jeu une véritable intensité qui permet à toutes ces micro-situations de passer la barre, de frapper au coeur. D'aucuns se complaieront encore et toujours à mépriser ces jeunes auteur(e)s sorti(e)s de nos instituts, c'est bien dommage tant cette nouvelle génération a su trouver sur des sujets originaux une façon personnelle et sensible de les traiter. C'est futile ici, en apparence, comme le fait de faire sauter une crêpe en l'air mais cela se révèle, en profondeur, d'une justesse de ton et d'émotion à faire pâlir les plus grands. Mama sciamma ! (Shang 27/09/21)