LIVRE : La Verticale du Fleuve de Clara Arnaud - 2021
Nous ne sommes pas coutumier du fait mais certains (bien cachés derrière les rideaux) pourraient aisément me reprocher sur ce coup de faire du copinage. Je les calme tout de suite : oui je connais la mère de l'auteure et alors ? Mon honnêteté n'ayant d'égale que la clairvoyance de mon œil gauche (oui, rappelez-vous l'épisode 124, j'ai perdu le droit), cela ne changera absolument en rien mon avis sur ledit bouquin. Voilà. Cette Verticale-là nous emmène quelque part au Honduras (pays méconnu et foisonnant de peuples indigènes et de corruption grand crin) en des lieux isolés où il est question de construire un barrage ; le bouquin s'ouvre avec l'assassinat d'une militante écologiste locale, puis son procès, et la volonté malgré tout du pouvoir en place de lancer la construction à n'importe quel prix dudit barrage. Une œuvre de titan dans ces lieux reculés qui créera certes un paquet d'emplois (joie de la population autochtone alentours) mais qui n'ira pas sans son lot de sacrifices : des indigènes délogés de leur petite habitation ancestrale et une flore et une faune qui subiront forcément des bouleversements avec la mise en place de ce mur de béton... Voilà pour le point de départ. La stratégie d'Arnaud pour rendre son histoire à la fois dynamique et foisonnante sera de multiplier les personnages (d'un côté les trois filles très différentes de la militante assassinée ainsi que la mère d'icelle ; de l'autre, les responsables du chantier, du petit ouvrier de base au grand boss) et de décrire avec un véritable art du détail les diverses phases de la mise en place de ce barrage hors-norme. Alors oui, vous allez me dire, vous ne vous sentez pas particulièrement partant pour pénétrer l'âme d'un chef de chantier, d'un cadre, d'un géologue, d'un agent de la banque mondiale... Vous avez tort, tant Arnaud parvient à donner du relief à ces multiples acteurs, tentant de percer en chacun les ambitions plus ou moins avouables et les minimes faiblesses... Elle construit phrase à phrase, pierre par pierre son récit et nous rend tangible ce mur qui grandit de chapitre en chapitre. On alterne bien sûr avec des points réguliers sur la vie de ces soeurs, leurs histoires de coeur, leur combat quotidien, leur pugnacité, leur chute de moral, leur petit combat personnel avec leur frustration (un mari pris par la police et son épouse qui tombe à son tour dans cette spirale infernale de la punition - dur d'être un petit) et leur enthousiasme (reprendre le flambeau des petits combats de cette mère disparue prématurément coûte que coûte). Des liens de famille qui ne cessent de se tendre et de se distendre mais qui permettent à chacun de trouver sa petite voie pour vivre dans la dignité. Arnaud, avec ce pavé imposant où chaque détail semble pesé, chaque phrase retravaillée, livre un roman étonnamment fluide qui nous fait toucher du doigt toutes les conséquences (économiques, environnementales, politiques...) d'un tel ouvrage moderne ; alternant adroitement les passages sur ce barrage imposant et grandiose et sur la vie quotidienne de ces petits êtres qui tentent tous, dans son ombre, de défendre leur raison de vivre, elle parvient à nous tenir en haleine sans avoir à multiplier les rebondissements. Du lourd (niveau béton) et de la fine dentelle psychologique. Un livre forcément électrique qui n'attend plus que trouver son public.