Beasts of No Nation (2015) de Cary Joji Fukunaga
Vous pensiez que la vie d'enfant soldat n'était que joie et liberté ? Fukunaga va vous enlever de la tête en deux-deux ce triste cliché... Oui, je sais, je vous vois... C'est toujours un peu le problème avec ce genre de film : on sait qu'on risque d'assister à des horreurs et ni une ni deux, on assiste à des horreurs... Le monde d'Agu est pour cela exemplaire en la matière : il vit avec ses parents dans une enclave protégée par l'ONU ; jusqu'à ce que l'armée "officielle" prenne possession des lieux (exit l'ONU, résolument inutile) et décanille la quasi-totalité de sa famille. Le monde d'Agu est brisé mais ce n'est que le début : le gamin est effet "recueilli" par une quelconque junte para-militaire, où il ne tarde pas à être initié à toutes les joies du camping (sauvage) : maniement des armes, drogue, abus sexuel, mise à mort forcée... Autant dire que notre pauvre Agu va être à rude épreuve. Puis viendra le chemin de la guerre où il aura encore moult occasions de faire et de subir des horreurs. Une rédemption est-elle encore possible quand tu vis, en quelques mois, plus de coups durs qu'un fonctionnaire français en cinq vies ?
Fukunaga, on le sait, n'est pas un manchot quand il s'agit de manier la caméra (même ses plans à l'épaule sont délicieusement coulés) ou de faire preuve un montage efficace. Ça, il sait le faire, et le film bénéficie de cette sympathique maestria du filmeur moderne, en particulier lors des scènes d'action. Notons aussi (avant que la pluie de critiques viennent déferler ?) que son petit héros (et son compagnon à moitié borgne) parvient à nous faire croire à tous les malheurs qui tombent sur ses frêles épaules. Comme le chef de la junte possède également un air terriblement inquiétant, on peut reconnaître chez le cinéaste un certain talent pour le casting et la direction d'acteurs. Voilà. Pour le reste, on demeure dubitatif... Si, si, je m'explique... Fukunaga semble décidé un peu au petit bonheur ce qui est du "bon goût" de montrer (les éclats de violence et de sang : ce type avec ce sabre lui scindant le crâne, était-ce bien utile pour nous faire comprendre que la guerre c'est pas jojo ?) et ce qu'il vaut mieux laisser dans le domaine de l'ellipse (quand notre petit Agu se fait abuser sexuellement par son chef...). Du coup, on a un peu de mal à savoir le pourquoi du comment de ses choix : soit c'est gerbatoire et on laisse ce genre de scène hors-champs, soit on met ses couilles sur le billot et on décide de tout montrer, tout, absolument tout... On sent en fait une certaine hypocrisie dans ce procédé, comme si la violence permettait "d'assurer le spectacle" (et de là à parler de complaisance, il n'y a qu'un pas) alors que d'autres sujets demeureraient tabou pour ne pas non plus trop choquer son spectateur. D'où un léger sentiment de trouble vu le sujet du film qui mériterait des choix (moralement) un peu plus clairs. De plus, Fukunaga nous plonge dans l'histoire turbulente de ce gamin mais sans vraiment prendre de gants ou faire montre d'un quelconque recul sur la question - c'est brut, et finalement assez attendu : on ne s'attendait pas à voir le gamin s'amuser avec sept nains et tomber amoureux de Blanche-Neige... Il en chie, il fait n'importe quoi, c'est normal, c'est la guerre... Fukunaga déroule tranquille ses petites horreurs infantiles avec une morale finale qu'on pourrait presque qualifier d'un peu douteuse (le gamin qui parvient en un clin d'œil à se libérer de ce passé ultra-traumatique ? De ?). Mouarf... Une forme pompière et léchée sur un sujet traité de façon un rien putassière.