Les Yeux, la Bouche (Gli occhi, la bocca) de Marco Bellocchio - 1982
A force de faire des beaux films depuis une dizaine d'années, Marco Bellocchio nous avait fait oublier combien il a pu aussi par le passé pondre de funestes pensums lourdauds, essentiellement dans les années 80 (qui furent calamiteuses pour beaucoup, je le reconnais). Pour s'en souvenir, rien de tel que ce Les Yeux, la Bouche. Le gars nous livre une variation psy ronronnante et solennelle dont il a le secret, sous une forme un peu hystérique un peu grisâtre qui était le sine qua non du cinéma intello de cette époque (remember Zulawski), et le résultat est pesant comme un repas de famille de dimanche de Pâques. On est pourtant preneur sur le papier quand on voit les noms attirants de Lou Castel (et sa folie venue des années libertaires), Angela Molina (et sa petite frimousse de gamine), Emmanuelle Riva (et son bagage durassien) et Michel Piccoli (et son génie) au générique, et quand on lit le petit pitch : un acteur dans le creux de la vague vient retrouver sa famille à l'occasion de la mort de son frère jumeau, avec pour mission : dissimuler à la mère l'aspect suicidaire de cette mort, pour ne pas la désespérer. Il taquine pour l'occasion la promise du frangin, se heurte au bloc de bourgeoisie bien-pensante de la smala et finira terrassé par ce monde qu'il quitta jadis et qui le rattrape toujours. C'est l'occasion rêvée pour notre Marco de laisser libre cours à son délire freudien et à ses illustrations au bulldozer de la psyché torve de nos amis bourgeois. C'est aussi une bonne occasion de se livrer à un vautrage doloriste et nombriliste, le film étant de toute évidence très autobiographique : Lou Castel était l'acteur principal de son premier film et revient donc sur les traces de ce film initial, et le portrait de cette famille effrayante a tout l'air d'être semblable à celle de Bellocchio lui-même.
On passe de séquences pompières en scènes trop écrites tout le long du film, qui la plupart du temps n'a l'air de concerner que le cinéaste, qui règle quelques comptes presque ad nominem avec son entourage. Bien entendu, chaque rencontre, chaque dialogue, chaque petite situation aboutissent forcément à des réactions hystériques de l'un ou l'autre des acteurs, il faut montrer que la vie est très difficile, et Castel, en particulier, est très agaçant dans ses postures d'acteur maudit : on ne comprend rien à ses tergiversations et à ses cris de colère qui arrivent sans aucune nécessité. Le film représente à peu près tout ce qui est inregardable aujourd'hui du cinéma des années 80 : c'est très sérieux et fier de soi, incompréhensible et kitsch, joué dans une sorte de fausse fièvre, froid comme la mort mais en même temps revêtu de mille oripeaux de mise en scène élégants et habités. Ajoutons que le doublage en italien de ces acteurs français est en-dessous de tout, et qu'il fallait quand même le faire d'aller chercher un acteur à la voix de Sim pour doubler Piccoli : il en ressort presque grimaçant alors que son jeu est toujours aussi sobre. La fin, sommet de ridicule, est le dernier coup de massue : le fils déguisé qui tente de piéger sa mère en se faisant passer pour le fantôme de son frère, idée qui m'a laissé pantois. Et qui marque mon verdict définitif : Les Yeux, la Bouche est nul.