Les Chiens de Paille (Straw Dogs) (1971) de Sam Peckinpah
« Rudes sont le ciel et la terre qui traitent en chiens de paille la multitude d'êtres. » - Lao-Tseu
On reste sur le thème de la paille (admirez la transition avec la chronique précédente) avec cette citation de Lao-Tseu et cette œuvre musclée d'un Peckinpah toujours prompt à démontrer que l'homme est un chien pour l'homme. Dustin Hoffman, lui le spécialiste des étoiles avec son physique quelque peu ingrat, n'aurait pas dû venir en terre européenne : il pensait y trouver la paix avec sa femme dans cette cahute en pleine campagne, il devra faire face à la barbarie... Pourtant, tout avait commencé de façon plus bête que méchante : Hoffman et sa petite blondinette emploient des gars du coin pour rénover leur maison. Alors oui, ladite femme, anglaise, eut par le passé une histoire avec un gazier du coin, oui les quatre branle-manette qu'ils emploient non pas l'air très finaud, oui Hoffman est vite la cible de chambrage et sa femme de regards concupiscents... Mais bon, ce sont de braves Anglais abreuvés à la bière, on ne va pas non plus attendre d'eux qu'ils fassent un exposé sur la beauté du brouillard chez Mizoguchi... Hoffman, tout de même, devrait se méfier de cette tension qui monte peu à peu autour de lui : il y a d'abord ce chat, le leur, qu'il retrouve pendu dans l'armoire de sa chambre (c'est forcément le coup d'un des quatre idiots) et, le moins qu'on puisse dire, c'est que sa façon de réagir vis-à-vis des quatre suspects manque un peu de bravoure ; sa femme commence à le tancer face à ce manque d'énergie, d'efficacité et on se dit que le gars Hoffman n'en a pas fini avec les humiliations ; les quatre gars l'invitent pour une partie de chasse et deux d'entre eux, en le laissant au milieu de la pampa pour tirer sur la bartavelle, en profiteront pour rendre une petite visite à sa femme... Qui viole une meuf, viole l'humanité et ce nouvel acte de violence ne fait malheureusement qu'annoncer un déferlement de pulsions barbares à venir... Lors d'une nuit où les tensions sont au paroxysme, le cow-boy Hoffman tentera de protéger le benêt, sa femme (enfin) et son territoire - et autant dire que ça ne peckine pas au niveau du charclage...
On sent monter, dans toute cette première heure, le trouble. C'est une atmosphère à la fois bon enfant mais aussi progressivement de plus en plus lourde qui pèse sur les épaules du petit homme Hoffman. Moins il s'impose (dans le pub, sur le chantier, devant sa femme...), plus il rentre dans une spirale d'irrespect à son égard... Lors de la scène du viol, séquence pivot, on sent bien sûr au départ tout le désespoir de sa femme face à cet ancien amant anglais brutal ; seulement, au cours de l'acte, l'image de l'amant se superpose à celle du mari : ce montage exprime toute l'ambiguïté terrible de la situation ; il y a à la fois de la rancœur contre ce mari absent, aveugle, mais aussi un reste d'attraction envers cet homme qui, lui, fait tout pour la posséder pleinement, "s'affirme" jusqu'au bout. Traumatisée, la pauvre ne trouvera pas la force de dire à son mari ce qui s'est passé : Dustin a décidément trop la tête dans les étoiles et s'est fait berner comme un bernicle par ces quatre types aux cheveux dans le vent... Mais la confrontation entre ces individus assoiffés de revanche (ils sont, socialement, dans une position d'infériorité, simples manœuvres sur le chantier) et ce petit intellectuel de Ricain (qui a plus de ressources que l'on ne croit) ne fait que commencer. Peckinpah lâche les chevaux dans la dernière partie du film et met en scène magnifiquement ce carnage sanglant et sanguinaire : c'est tuer ou mourir, il n'y a pas d'échappatoire possible ; les ruses d'Hoffman face au côté bourrin des Anglais vont être propices à une escalade de la violence. Se sentant attaqué dans son droit (à la propriété), dans sa chair (sa femme est à nouveau molestée), se posant en défenseur de "l'innocence incarnée" (l'idiot du village, pourtant meurtrier...), le petit scientifique Hoffman devenu "justicier" d'un soir va se dépasser face à l'envahisseur - et les chiens de paille de se dévorer entre eux. Peckinpah nous laisse sur la paille après ce carnage, exsangue, et sur une fin plutôt laconique (tous coupables, finalement, par rapport à cette montée de la violence, à ce déferlement de testostérone ?). Sam a en tout cas démontré que western ou eastern, il restait l'un des maîtres pour révéler et illustrer les bas instincts humains.