L'homme qui ne vécut que pour aimer (Koshoku ichidai otoko) (1961) de Yasuzô Masumura
Casanova, on ne le sait pas assez, serait en fait japonais. Yonosuke est un homme qui aimait les femmes et l'on suit ici, façon road-movie, ses aventures au gré des villes et de la pléthore de femmes qu'il rencontre. Déshérité par son père plus avare en thune qu'un muet l'est en parole, Yonosuke sait parfaitement que pour être heureux, il suffit de vivre d'amour et de chair fraîche. Sa méthode : le dévouement total auprès d'une femme, la séduction câline et, au besoin, le sacrifice de toutes ses économies (souvent maigres) pour leur redonner le sourire. C'est plus fort que lui, dès lors qu'il voit une jolie gorette, il la lui faut ; esclave de l'amour, amoureux des amoureux, il n'hésite pas au besoin de racheter à un prix démesuré une geisha dont l'un de ses compagnons de voyage est raide dingue. Il est comme ça, entièrement dévoué à l'amour ; sa morale est simple : pas besoin de prier un dieu, il se propose d'exaucer les vœux de toute femme ; les samouraïs ? des êtres stupides, violents, aveugles au charme de la gent féminine. Lui, c'est le chantre de la manière douce et moult sont les femmes qui lorsqu'elles le rencontre craque devant sa générosité, sa soumission, son amour total... Mais dans ce pays sauvage et barbare gouverné par des hommes, Yonosuke pourra-t-il vivre sa passion, ses passions, sans manquer d'être trucidé à n'importe quel coin de rue ?
Masumura, disons-le d'entrée, fait un peu feu de tout bois et multiplie plus que raison les aventures ; le film, où l'on change d'endroit comme d'héroïne toutes les cinq minutes, peut sembler parfois un peu brouillon (pas le temps de s'installer que, oups, une autre gorette est dans le collimateur) mais permet de montrer diverses facettes de ce Japon pour le moins instable : quartiers de plaisirs plus ou moins glauques (Yonosuke se retrouvant au bout de la nuit parmi des prostiputes mâles - ce n'est pas sa came mais il ne s'offense point... Il finit d'ailleurs avec une vieille mais passe finalement son tour car elle lui rappelle trop sa mère), village dominé par des tyrans, campagne du bout du monde... A chaque fois, il y a une femme, souvent exploitée, battue, et à chaque fois, notre homme, malin et enjoué, finit par se faire la belle avec la belle. Quitte à se retrouver avec tout le pays aux trousses et à passer à chaque fois à ça de se faire proprement assassiner. Pour conquérir une femme qui a perdu le goût de vivre, il sera capable, quitte à se ruiner pour quinze générations, de lui offrir son poids en or : rien n'est jamais trop beau pour elles... Seulement voilà, ce Japon qui recèle pourtant de donzelles charmantes, ce Japon où les mœurs datent d'une ère préhistorique, n'est sûrement pas assez vaste pour lui : sa soif de liberté et d'amour est trop grande pour ce pays étriqué, retardé, et seul l'exil pourra éventuellement le sauver... Masumura nous dresse le portrait d'un séducteur toujours heureux de vivre, embobinant les femmes simplement parce qu'il les aime, à chaque fois, avec une véritable sincérité. Les petits discours qu'il place ici et là sur la condition des femmes et la brutalité des hommes sont de bon aloi et réchauffe le cœur. Dommage, disais-je, que cela parte parfois un peu dans tous les sens, que ce mouvement constant finisse par donner l'impression d'une œuvre pas toujours totalement maîtrisée, un peu bordélique - forcément. On reste admiratif toutefois devant la foi absolue de cet homme qui fait des femmes sa seule raison de vivre sur cette terre où les êtres, souvent vénaux, ont l'esprit étriqué. C'est louable dans le fond. Dommage que la forme soit tantôt un peu relâchée.



