Énorme (2020) de Sophie Letourneur
Sophie Letourneur tente de nous redonner une petite envie de comédie populaire "bon enfant" : ses deux acteurs (surtout lui, d'ailleurs, Foïs devant se contenter un peu trop souvent du rôle de faire-valoir) se donnent à corps et à cris et parviennent trois-quatre fois à faire monter doucettement de petits ricanements aux allures de contractions imprévues. Seulement voilà, tout comme cet accouchement qui n'en finit pas (on vire au documentaire sur le final et vu mon horreur de l'hôpital quelles que soient les salles concernées mon sang n'a fait qu'un tour - je suis dorénavant moyennement chaud pour une péridurale), la comédie se fait un peu longuette et le rire a dangereusement tendance à s'absenter durant le dernier tiers...
Elle est pianiste, à l'international, il est son mari et agent. Elle bosse, musicalement, il s'occupe du reste. Pour se détendre, entre deux concerts, ils baisent. Pas le temps, donc, de s'occuper d'un enfant. Seulement voilà, il en veut un, notre ami Jonathan Cohen. Il remplace donc les pilules de la dame par des sucrettes, lui raconte tout et n'importe quoi pendant douze semaines (rendant tout avortement obsolète) et attend que sa femme couve... Marina tire de plus en plus la gueule à mesure que son ventre s'arrondit mais le Jonathan n'est pas en reste pour montrer son soutien moral et physique, grossissant également à vu d'œil. Il gérait tout dans la carrière de sa dulcinée, il prend en main de la même façon sa grossesse. Heureusement, il le fait de façon tellement grossière (ohoh) que cet abus de pouvoir d'un sexisme outrancier tourne cela, pendant un bon moment, à la dérision. Jusqu'à ce que la tendresse "parentale" prenne le dessus (bouark - oups). Alors oui, Cohen fait preuve d'un certain abattage dans sa façon de sortir ses dialogues à la mitraillette, le bonhomme parvenant même à nous faire sourire en alignant vingt-trois fois la même phrase lorsqu'il tente, à demi-mot, de faire comprendre à sa compagne qu'elle est enceinte. Des dialogues donc assez drôles, dans l'ensemble, un peu plus en tout cas que les gags visuels qui tendent, dans tous les sens du terme, à une certaine lourdeur (le ventre démesurément grossi de Marina, la boulimie de Jonathan). Letourneur, comme toute bonne réalisatrice de comédie, tente de donner du rythme, coupant à la hache au besoin au montage pour que les répliques s'enchainent et que les acteurs produisent leur meilleur mimique (les "gros yeux" de Cohen, un must, la moue de Foïs, une marque de fabrique). Foïs est un peu sous-employée, disais-je, et c'est bien dommage car son petit numéro, lorsqu'elle demande qu'on arrête de la tripoter à tout bout champ, est très réussi (le caméraman quant à lui s'emmêle un peu les pinceaux dans ses zooms et son cadrage mais passons, le rire avant la technique...). Un sympathique petit numéro de duettistes qui donne une image aussi ridicule qu'ironique de ce "couple moderne". Dommage que la toute fin (Letourneur a-t-elle oublié sa caméra dans la salle d'accouchement ?) casse un peu cette atmosphère drolatique... (Shang - 07/01/21)
J'aurais la dent un peu moins dure que mon camarade. C'est inégal, certes, parfois un peu potache, mais tout de même : il y a là un ton très singulier, un amateurisme précieux, et une façon assez frondeuse d'inverser le discours féministe ambiant, qui ne peuvent que convaincre à mon avis. Pour le ton, le film est doté d'un charme certain : l'humour y est étrange, jamais ou presque complètement ouvert, jamais attendu. Les deux acteurs font beaucoup pour la chose, Cohen dans le surjeu et le bavardage, Foïs dans l'hébétude et le retrait. Les situations que Letourneur leur impose sont toujours surprenantes, "presque pas drôles" et pourtant fantaisistes. Etrange projet, d'ailleurs, de mêler les acteurs amateurs, visiblement en impro et dans leur emploi, c'est-à-dire devant réagir comme si Cohen et Foïs étaient des vrais patients, et des acteurs professionnels : ce montage habile entre champ (les personnages réels réagissant spontanément) et contre-champ (les deux comédiens qui leur opposent le scénario et leur propre impro délirante) fait toute la qualité du film, à cheval entre documentaire et comédie. Ça ajoute une touche de réalisme à cette histoire et c'est très réussi.
Côté amateurisme justement, le film cultive un côté artisanal, mal fait, presque fait maison, qui fonctionne très bien : oui, on voit l'ombre des techniciens dans le champ, oui, le montage est fait à la faux et les plans sont souvent trop longs, oui tout ne se vaut pas là-dedans, mais c'est presque ça qui fait le charme : on est avec les personnages, rendus très crédibles par cette forme faussement relâchée. Et on se retrouve à leur hauteur aussi, ce qui prolonge l'identification. Enfin, cerise sur le gâteau, le film opère un revirement assez audacieux des valeurs féministes, faisant de l'homme du couple le vecteur du désir de l'enfant, et de la femme la personne avide de réussite professionnelle. Les femmes qui font un bébé "dans le dos" de leurs hommes ne choquent pas, l'inverse si, et on condamne bien vite Cohen pour ses actes. Le film fait subtilement réfléchir aux clichés de sexes, renvoyant gentiment les discours politiquement corrects sur le sujet aux orties, et inventant des personnages subtils : on termine en les aimant tous les deux avec leurs gros défauts et leurs déviances (lui dans la manipulation, elle dans la passivité), le discours, même provocateur, se veut apaisant, et les dehors de comédie du film font passer la pilule de son fond dérangeant. Bien aimé, quoi, voilà, même si on est loin du grand film ; ce n'était de toute façon visiblement pas le but visé par Letourneur. (Gols - 09/01/21)