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Shangols
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30 décembre 2020

Prologues (Footlight Parade) de Lloyd Bacon - 1933

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Un petit film de Noël ne peut pas faire de mal. Et envoyer Footlight Parade est un acte qui vous plonge en deux-deux dans la féérie, l'apesanteur et la légèreté les plus totales, idéal donc pour cette période. Pourtant, aucune invention dans le scénario, assez paresseux, qui nous est raconté ici : au moment où le cinéma parlant devient la nouvelle mode, un producteur de "musicals" se voit menacer de mettre la clé sous la porte, trop ringard, dépassé. Il a alors une idée de génie : mettre en scène des "prologues", c'est-à-dire ces petits numéros musicaux "live" proposés entre les films, et les mettre en scène de façon la plus spectaculaire possible. Ça n'ira pas sans mal, puisqu'il s'agit de produire du divertissement à la chaîne, dans l'urgence, et qu'il s'agit aussi de flirter avec la censure (on est aux débuts du code Hayes), donner un peu de fesse et de fantasme au public tout en évitant le procès. Bonne idée de départ, mais pas du tout traitée, Bacon passant consciencieusement à côté du potentiel politique de l'histoire pour se concentrer sur les morceaux musicaux. Épaulé, voire dominé, par le compère Busby Berkeley, il propose donc une comédie musicale hyper formelle comme on n'en fait plus. On y perd en fond ce qu'on y gagne en jambettes galbées, et à tout prendre, c'est Noël...

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Oublions donc les parties parlées, fonctionnelles et fades, pas très drôles et fatigantes. Les personnages sont archétypiques en diable, le comique use de la répétition à outrance (le chorégraphe qui se plaint toujours), et les acteurs ont beau se démener dans tous les sens, on reste indifférent à leurs angoisses. Le film tente de dresser un portrait satirique de ces années-là, patrons âpres au gain, concurrents déloyaux, danseuses capricieuses, jeunes premiers vaniteux, mais la charge n'est pas assez forte, l'écriture pas assez fine pour parvenir à raconter vraiment une époque. James Cagney, pourtant, se démène comme un beau diable, courant dans tous les coins de l'écran en vociférant, donnant ici une indication pour un rond de jambe, négociant là un contrat à 6 chiffres, traquant ici la gorette et rusant là pour anéantir la firme concurrente. Il tient la partie "scénaristique" sur ses épaules, et le fait avec une conviction remarquable. Mais il a tellement peu de situations valables à défendre qu'on préfère aller découper la bûche dans ces moments-là en attendant les chorégraphies.

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Et alors là, les enfants, de ce côté-là, on est gâtés. Si on oublie la première pièce, "Cats", curieuse inspiration zoophile ringarde et laide, on a droit dans tout le dernier tiers du film à trois morceaux qui rivalisent de gros moyens, d'invention et de spectaculaire. Ma préférence ira indéniablement à "By a waterfall" : 15 minutes de pure folie aquatique, avec 8000 danseuses-plongeuses-nageuses en maillot qui bougent dans un ensemble au millimètre, sourire ineffaçable aux lèvres, le tout dans un ballet de profondeurs de champs, de plongées et contre-plongées, de prises sous-marines, de travellings impossibles et de caméra suspendue dans les airs. Ce ballet est d'une invention constante, ils ont dû perdre au moins quinze baigneuses par noyade ou choc crânien, mais tout est calculé au poil de cul, du sourire de la quinzième danseuse au fond au degré de levage de jambes. On sort largement des limites du théâtre dans lequel est sensé se dérouler ce numéro, magie du cinéma, et on se laisse emporter dans un monde magique, déconnecté du réel, entièrement voué au plaisir de nos yeux. Les deux autres chorégraphies sont elles aussi magnifiques : une déambulation dans un hôtel, fantasme d’ubiquité assouvi pour le spectateur qui rentre dans chaque petit recoin de l'établissement et y découvre à chaque fois une petite merveille ; et un numéro "asiatisant" parfaitement réglé, qui donne à voir James Cagney se déhancher et faire des claquettes comme un beau diable : il a une danse très étrange, entre Popeye et Debbie Reynolds, et se dévoile en danseur aérien très compétent, avec ses pas très féminins qui tranchent avec ses emplois de gangster. Bref, du pur spectacle, bête et magnifique, on est bien content, le Père Noël ne s'est pas foutu de nous.

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Commentaires
C
Tout le monde a tort, je suis ravi de le dire haut et fort 😊<br /> <br /> Mitch, si distraire en période de crise est un acte politique, faut-il en conclure que Laurent Ruquier est systématiquement politique ? On peut cependant dire du cinéma américain jusqu’aux années 1960 qu’à force d’éviter souvent et soigneusement la politique, il est aussi souvent conservateur (par omission). <br /> <br /> Or la politique est présente dans le film : il y a juste le drapeau américain puis la photo de Roosevelt puis le logo de la NRA (pas celle des guns) qui prennent tout l’écran !! (Ils sont filmés de haut et constitués par des toiles tendues par des marins qui dansent.)<br /> <br /> Shangols, vous trouvez que Bacon passe « à côté du potentiel politique de l’histoire »… mais je ne crois pas du tout. Le film est bien plutôt typique de la vision capitaliste de l’entreprise. Le personnage de Kent joué par Cagney est un patron parfait et la petite société de production une entreprise idéale.<br /> <br /> Chester Kent (nom tellement classe) est un patron qui prend systématiquement les bonnes décisions et sait utiliser les idées des autres (celle de Bea pour faire revenir la troupe sans emploi). Son seul défaut est de ne pas surveiller assez les comptes et de se faire escroquer par ses deux associés (au moins ce n’est pas lui qui se mouillera à leur faire du chantage, mais sa secrétaire et future femme Nan). Mais ce qui est beau, c’est qu’il est en même temps un artiste multi-tâches : il a des idées géniales de prologues (personne d’autre), il explique ses idées au chorégraphe geignard qu’il finit par virer et peut jouer le premier rôle d’un prologue sans avoir répété (dans le merveilleux numéro « Shanghai Lil »). Il semble meilleur que tout le monde, c’est un travailleur acharné, cela le justifie régulièrement comme patron aux yeux du spectateur, puisqu’aucun autre personnage ne lui arrive à la cheville. On peut donc facilement accepter qu’il touche par contrat un pourcentage sur les bénéfices, contrairement à tous les autres à part ses deux associés.<br /> <br /> Son entreprise est idéale : les employés sont toujours d’accord, voire admirent, le patron, excepté bien sûr les deux traîtres à la solde du concurrent Gladstone. Il impose aux femmes de rester trois jours sans sortir du studio et de travailler encore plus ? Pas de problème, c’est une si belle aventure… aucune compensation financière n’est évoquée, alors que pour Kent et ses deux associés, s’ils emportent l’appel d’offre de la chaîne Apollo, ce sera un succès financier énorme.<br /> <br /> L’acharnement au travail de Kent est récompensé matériellement et sentimentalement : il relève à mon avis de l’éthique protestante si répandue aux Etats-Unis. La description économique relève à coup sûr d’une idéologie capitaliste : le patron a des capacités au moins égales à celles de chaque employé, ce qui justifie les inégalités et aucune différence n’est faite entre les intérêts des propriétaires et ceux des employés, entre lesquels il n’y a aucun conflit.<br /> <br /> Je crains que les films musicaux où les personnages montent un spectacle soient souvent un peu comme ça… mais pas toujours aussi outrés, heureusement : dans Chantons sous la pluie, il est bien clair que Millard Mitchell ne saurait remplacer Gene Kelly et Debbie Reynolds, même s’ils ont tous les mêmes intérêts…
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M
De la politique en 1933... L'Amérique devait alors en avoir jusque-là, de la politique. La Dépression c'était leur Covidator. Même sans infos en continu...<br /> <br /> Au fond, distraire ouvertement le dépressionnaire lambda, à l'époque, n'était-ce pas déjà une forme d'acte politique ? <br /> <br /> Revoyons les "Chercheuses d'or de 33", ( la même année donc, le Busby B. était partout) avec le long ballet 'Forgotten man" où il est question de soupe populaire, de soldats qui marchent au pas, de hobos... Si t'en veux d'la politique, en v'là. <br /> <br /> Au fait, non, ce film n'est pas du tout bête. Loin s'en faut. Vous n'allez quand même pas imiter ces crétins qui ricanent juste parce que le film est en N et B , hein ? <br /> <br /> Cagney vient du vaudeville et du music-hall. Il danse comme un gymnaste. Un genre de farfadet sauteur, quoi. Marcel Ophuls disait de lui que, lorsqu'on le voyait rebondir, on sentait que le sol était dur. Fred Astaire, lui, s'élève comme tiré par un parachute (ça, c'est de moi). De son propre aveu, Gene Kelly s'est beaucoup inspiré de James Cagney. <br /> <br /> Give my regards to Broadway... ta ta... ta ta ta ta....ta...
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