Prologues (Footlight Parade) de Lloyd Bacon - 1933
Un petit film de Noël ne peut pas faire de mal. Et envoyer Footlight Parade est un acte qui vous plonge en deux-deux dans la féérie, l'apesanteur et la légèreté les plus totales, idéal donc pour cette période. Pourtant, aucune invention dans le scénario, assez paresseux, qui nous est raconté ici : au moment où le cinéma parlant devient la nouvelle mode, un producteur de "musicals" se voit menacer de mettre la clé sous la porte, trop ringard, dépassé. Il a alors une idée de génie : mettre en scène des "prologues", c'est-à-dire ces petits numéros musicaux "live" proposés entre les films, et les mettre en scène de façon la plus spectaculaire possible. Ça n'ira pas sans mal, puisqu'il s'agit de produire du divertissement à la chaîne, dans l'urgence, et qu'il s'agit aussi de flirter avec la censure (on est aux débuts du code Hayes), donner un peu de fesse et de fantasme au public tout en évitant le procès. Bonne idée de départ, mais pas du tout traitée, Bacon passant consciencieusement à côté du potentiel politique de l'histoire pour se concentrer sur les morceaux musicaux. Épaulé, voire dominé, par le compère Busby Berkeley, il propose donc une comédie musicale hyper formelle comme on n'en fait plus. On y perd en fond ce qu'on y gagne en jambettes galbées, et à tout prendre, c'est Noël...
Oublions donc les parties parlées, fonctionnelles et fades, pas très drôles et fatigantes. Les personnages sont archétypiques en diable, le comique use de la répétition à outrance (le chorégraphe qui se plaint toujours), et les acteurs ont beau se démener dans tous les sens, on reste indifférent à leurs angoisses. Le film tente de dresser un portrait satirique de ces années-là, patrons âpres au gain, concurrents déloyaux, danseuses capricieuses, jeunes premiers vaniteux, mais la charge n'est pas assez forte, l'écriture pas assez fine pour parvenir à raconter vraiment une époque. James Cagney, pourtant, se démène comme un beau diable, courant dans tous les coins de l'écran en vociférant, donnant ici une indication pour un rond de jambe, négociant là un contrat à 6 chiffres, traquant ici la gorette et rusant là pour anéantir la firme concurrente. Il tient la partie "scénaristique" sur ses épaules, et le fait avec une conviction remarquable. Mais il a tellement peu de situations valables à défendre qu'on préfère aller découper la bûche dans ces moments-là en attendant les chorégraphies.
Et alors là, les enfants, de ce côté-là, on est gâtés. Si on oublie la première pièce, "Cats", curieuse inspiration zoophile ringarde et laide, on a droit dans tout le dernier tiers du film à trois morceaux qui rivalisent de gros moyens, d'invention et de spectaculaire. Ma préférence ira indéniablement à "By a waterfall" : 15 minutes de pure folie aquatique, avec 8000 danseuses-plongeuses-nageuses en maillot qui bougent dans un ensemble au millimètre, sourire ineffaçable aux lèvres, le tout dans un ballet de profondeurs de champs, de plongées et contre-plongées, de prises sous-marines, de travellings impossibles et de caméra suspendue dans les airs. Ce ballet est d'une invention constante, ils ont dû perdre au moins quinze baigneuses par noyade ou choc crânien, mais tout est calculé au poil de cul, du sourire de la quinzième danseuse au fond au degré de levage de jambes. On sort largement des limites du théâtre dans lequel est sensé se dérouler ce numéro, magie du cinéma, et on se laisse emporter dans un monde magique, déconnecté du réel, entièrement voué au plaisir de nos yeux. Les deux autres chorégraphies sont elles aussi magnifiques : une déambulation dans un hôtel, fantasme d’ubiquité assouvi pour le spectateur qui rentre dans chaque petit recoin de l'établissement et y découvre à chaque fois une petite merveille ; et un numéro "asiatisant" parfaitement réglé, qui donne à voir James Cagney se déhancher et faire des claquettes comme un beau diable : il a une danse très étrange, entre Popeye et Debbie Reynolds, et se dévoile en danseur aérien très compétent, avec ses pas très féminins qui tranchent avec ses emplois de gangster. Bref, du pur spectacle, bête et magnifique, on est bien content, le Père Noël ne s'est pas foutu de nous.