Les Fleurs de Shanghai (Hai shang hua) (1998) de Hsiao-Hsien Hou
Splendeur et mystère des courtisanes. Il est bon de revenir en effet de temps en temps revisiter les œuvres du grand Hou : des œuvres hypnotiques, soporifiques (sans doute parfois, un peu, mais dans le sens de délicieusement planant) et définitivement opiumiques (ici, en particulier) qui vous bercent par leur douceur et leurs couleurs. Il faut reconnaître que ces Fleurs de Shanghai proposent au niveau de la richesse des décors et des teintes jaunes-orangées une sorte de must : chez Hou, tout est beau, des actrices tirées à quatre épingles au moindre meuble d'angle soigneusement choisi. Le concept, ici, exposé dès l'ouverture, est simple : une scène, un plan séquence avec une caméra qui pannote tranquillement pour qu'on ne perde rien des mouvements de chacun (assis autour d'une table) et puis fondu au noir... Ce petit monde, tel un tableau magnifiquement éclairé, soudainement se met en branle avant de repartir dans la nuit. Un film d'ambiance, atmosphérique, qui nous transporte corps et âmes dans ce Shanghai que je connais bien (je fais plus jeune que mon âge), celui de la fin du XIXème : des courtisanes, chacune dans leur appartement, et des hommes qui passent, parfois, ou pas. Voilà pour l'essentiel.
Alors oui, me direz-vous, et au niveau de l'intrigue ? Bah, est-ce bien utile, chez Hou, une fois qu'il nous a ravis de ce spectacle d'un esthétisme rare et d'une sérénité totale ? Bon, si vous insistez, on pourrait évoquer les légères turbulences de l'ami Wang qui oscille entre une Rubis et une Jasmine, entre une précieuse et un parfum... Il y a aussi ces petits maîtres qui décident de se marier (en rachetant leur liberté) à ses courtisanes et ceux qui hésitent ou qui ne font pas le pas. Alors oui, vous allez me dire, qu'il ne se passe pas grand-chose, quoi. Eh bien tout avance à tâtons, c'est vrai. Il y a les hommes qui, lors de banquet, ensemble, s'amusent à boire. Il y a les femmes, qui, lorsqu'elles sont seules, discutent de leur patronne qui souvent les maltraite ou ne pense qu'au business. Et puis parfois, il y a un homme et une femme, qui se regardent plus qu'ils ne discutent, s'opiumisent paisiblement, s'observent, se parlent un peu, se projettent mais pas vraiment non plus... Des hommes qui naviguent un peu aveuglément et des femmes qui attendent patiemment le bon bateau. Il est plus question d'argent que de sentiments, ou d'amour, et c'est vrai qu'on regarde la chose, bercé par cette ambiance feutrée, sans forcément attendre de coups d'éclat. Wang, jaloux, s'emportera bien une fois... mais on ne peut guère dire que la solution qu'il prendra par la suite sera la bonne comme si finalement tous ces petits jeux mâtinés de désir, d'alcool et de drogue étaient délicieusement vains. Des fleurs, dans leur bocal shanghaïen, qui tentent de refleurir le temps d'un film suranné. Zen sans sexe.