On devient tous fous (Subete ga kurutteru) (1960) de Seijun Suzuki
Seijun Suzuki avait vraiment le feu en ce début des années 60, réalisant là un film nippo-nouvellevaguisé dans la lignée, disons-le, d'un A bout de Souffle ; un jeune héros, jusque là apparemment bien gentil sous tout rapport, se met à péter un plomb quand sa mère commence à avoir des vus sur son "protecteur" : le père du jeune homme est mort à la guerre, écrasé par un tank de son propre camp et construit justement par son futur beau-père (pfiou, tout un symbole...). Il claque la porte de la madre et commence, à l'image de la bande de jeunes couillons qu'il fréquentait de loin et qui vivent de petits expédients (ça traficote avec le Ricain, ça exploite des jeunes femmes - rien de bien glorieux), de virer sauvageon : il braque son futur beau-père en le délestant de sa monnaie, vole des caisses et entraîne dans ses conneries une jeune femme qui n'a d'yeux que pour lui... Il se lance dans une sorte de fuite en avant qui risque fortement de finir droit dans la mur... Breathless.
Film des sixties nerveux, au montage musclé, à la musique jazzy enlevée, qui dresse le portrait de cette nouvelle jeunesse nippone qui, à la sortie de la guerre, n'a guère de limite : libération sexuelle (et viol), extorsion et vol, chantage (la jeune femme enceinte qui a besoin de thune pour avorter : elle est prête à tout pour parvenir à ses fins, quitte à faire chanter le fameux beau-père qui ne l'a même pas touchée), il semblerait bien qu'il n'y ait plus guère de repères, de garde-fou moral, dans cette société qui part à vau-l'eau... Si certains, enfin surtout certaines (dont la jeune femme enceinte...) finissent par entendre raison et savent où s'arrêter, d'autres (dont notre jeune héros et sa compagne) prennent un chemin sans retour. Une liberté folle, sans crainte, pleine de fougue, mais également totalement inconsciente et dangereuse... Il suffirait pour notre jeune homme de se poser cinq minutes pour qu'il se rende compte qu'il s'agite pour rien... Seulement, entraîné dans sa rancœur (envers les adultes, envers ce monde dont il hérite), entrainé dans sa cavalcade (il s'engage dans une baston jusqu'à perdre totalement le contrôle de ses nerfs, il vole une bagnole et roule comme un dératé jusqu'à se faire poursuivre par les flics...), encouragé par les jeunes cons et surtout par cette jeune femme qui n'a pas froid aux yeux, il risque d'aller tout droit vers l'auto-destruction. Suzuki réalise un film particulièrement abouti, toujours en mouvement, mettant en scène une foule de personnages crédibles et forts en gueule qui ne cessent de s'entrecroiser en quelques heures. Une belle réussite formelle qui surfe magnifiquement sur l'air du temps.