L’Histoire de Jiro (Jirō monogatari) (1955) de Hiroshi Shimizu
Shimizu est sans contexte, avec Ozu, un grand réalisateur de films avec petits nenfants. Il le prouve une nouvelle fois avec cette œuvre tardive, une œuvre sensible tout en sentiments rentrés qui vont finir un jour ou l'autre par exploser. On suit donc le parcours du jeune Jiro, élevé par une nounou pendant que l'aîné de la famille reste auprès des siens. Jiro est un poil turbulent mais très attaché à sa nounou ; alors forcément, quand celle-ci se voit forcée de ramener ce gamin qu'elle a élevé à ses parents, c'est la déchirure. Une déchirure que Shimizu a la pudeur de ne pas nous montrer. On sait que la nounou est au trente-sixième dessous, on sait que le gamin est abattu comme un pigeon flingué à coup de mitraillette en plein vol, mais sur tout cela, nous n'insisterons pas. La vie continue et Jiro devra évoluer dans cette famille où dès le départ, forcément, il ne se sent pas totalement le bienvenu. Si les rapports avec la grand-mère sont tendus (les grands-mères sont fondantes avec les gamins qu'elles ont élus, des carnes avec les autres), si les rapports avec son grand-frère sont loin d'être évidents (des rapports plus teintés de jalousie que de camaraderie), Jiro va mettre du temps mais finir par se rapprocher quelque peu de ce pater si zen et un poil débonnaire (la belle scène "d'extériorisation" dans la forêt) et de cette mère un tantinet distante... Il faudra le temps, il faudra que celle-ci également commence à ouvrir la porte, mais la réconciliation mère-fils, alors même que celle-ci est alitée, sera un moment proprement déchirant... Car oui, alors même que Jiro apparaît souvent comme un gamin têtu, taiseux, il y a aussi au fond de lui une part de bonne volonté et surtout d'amour qu'il faut savoir faire émerger. Jiro est un gamin sur la réserve mais quand il lâche les vannes, c'est un niagara émotionnel... L'histoire se répétera quelques temps plus tard, après la mort de sa mère, quand il éprouvera quelque difficulté à appeler "mère" sa belle-mère. Là aussi, il faudra un certain process avant que Jiro se laisse emporter par son affection...
Ah on est dans de l'impressionniste nippon, dans le portrait à petites touches, sans coups d'éclat, avec des adultes plus ou moins à l'écoute, plus ou moins compréhensifs, plus ou moins sensibles au monde de l'enfance. Jiro se bute, dès lors qu'il sent une résistance, mais c'est également un gamin bourré d'honneur, de courage (il est toujours partant pour mettre sur la tronche d'un gamin pénible), et d'entrain (il est toujours volontaire pour se taper des bornes à pied pour rendre service). Oui, il est un peu en dedans, méfiant, mais il sait aussi, le moment venu, pardonner (les adultes étant généralement bien trop fier) et s'ouvrir totalement à ses proches. On assiste à plusieurs scènes où l'on remarque des ponts (il faudrait que je fasse une étude sur le sujet mais malheureusement j'ai aussi un métier), notamment lorsqu'il en traverse un avec la sœur aînée d'un gamin de son âge qui l’a pris sous son aile (l'apprentissage de la confiance) ou lorsqu'il retraverse ce pont tout seul, juste après avoir appris qu'elle est partie à Tokyo pour se marier (l'apprentissage de la perte, de la "trahison"). Des ponts entre deux rives, des ponts qui mènent notre petit bonhomme de la candeur, de la réserve, à l'expérience, au partage. Un portrait éblouissant d'un gamin aussi maladroit qu'intelligent tramé par un Shimizu, plein de pudeur, tout en douceur. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs ces séquences où la caméra virevoltante suit ses gamins se cachant dans les recoins de la maison : on oublie totalement l’appareil qui filme de façon extraordinaire à hauteur d’enfant. Un grand petit plaisir - j'attends mes invites pour la rétrospective à la cinémathèque... J'enrage d’avance de ne pouvoir y être, bouh.