L'Acrobate de Jean-Daniel Pollet - 1976
Petit film pour un petit cinéaste, mais qui a un indéniable charme désuet qui marque des points. L'Acrobate ne révolutionnera pas le cinéma, mais il n'en a pas l'ambition, et veut simplement montrer un personnage mignon pris dans une situation mignonne. Il y réussit parfaitement, parvenant finalement à trouver un style propre, unique, complètement foutraque mais marquant. Pollet est ici dans sa veine absurde, non dans les films expérimentaux qu'on lui connaît, et ça lui va presque mieux au teint : son film est joli. Quoiqu'un peu long pour la chose minuscule qu'il a à raconter : les déboires sentimentaux de Léon, personnage lunaire et non-remarquable, qui travaille dans un sauna, est bousculé par les costauds, boudé par les femmes, regardé de haut même par son pote Ramon (Guy Marchand, marrant), et passe à côté de sa vie... jusqu'à ce qu'il se passionne pour le tango, activité dans laquelle il va exceller et qui va lui permettre de se moquer des costauds, de mettre les femmes dans son lit, de battre à plate couture son pote Ramon, et de faire de sa vie un long moment de danse. Le film est rythmé par de grandes scènes de tango (les acteurs s'en tirent très bien), et on sent que Pollet lui-même est touché par cette grâce autant que par son personnage.
Autant le dire : ce dernier fait l'essentiel de la qualité du film. Claude Melki, étrange petit machin tout tordu, est un miracle de corps en mouvement, un mélange entre Pierre Richard pour la maladresse, Buster Keaton pour le jeu froid et le physique, et Jean-Pierre Léaud pour le décalage. Pollet le confronte à des situations quotidiennes, mais le bougre est tellement décalé, tellement "Pierrot lunaire" qu'elles se transforment en petites saynètes burlesques et absurdes souvent craquantes. Il déborde littéralement du cadre, et la caméra se contente de courir après lui, de le regarder, de tenter de le comprendre même : dans les scènes où il danse seul dans les couloirs des bains publics, l'ombre de la caméra semble un personnage à elle seule, ou en tout cas la projection du spectateur qui se tient à distance de ce fantastique corps. Une mise en abîme filée d'ailleurs dans une scène déconnectée au clap de début apparent, pastiche des films français de l'époque absolument fendarde. En tout cas, je n'avais jamais vu Melki avant, je crois, c'est un vrai choc, malgré le fait qu'il est souvent faux. Il rentre immédiatement dans la catégorie des "vrais faux", avec Léaud, avec Brigitte Fontaine, Philippe Katerine, ce genre de personages. Le retournement de situation, de crapaud sans intérêt en prince charmant tout en pas de chat, est amusante elle aussi, puisque l'acteur parvient à être aussi pathétique dans le premier rôle que flamboyant dans le deuxième. Et puis le film a cette originalité de nous faire retrouver des acteurs disparus des écrans radar. Toute l'Académie des Neuf semble s'être donnée rendez-vous, de Micheline Dax à Jeane Manson, de Denise Glaser à Guy Marchand, et la présence fragile d'Edith Scob en gérante de sauna est un petit plus qu'il ne faut pas négliger. On ne sait pas trop si on est face à un film cérébral, très méta, tellement original qu'il frôle l'expérimental, ou face à une simple comédie délicate et mélancolique ; à moins qu'on ait là un de ces OVNI que le cinéma des années 70 savait offrir de temps en temps. En tout cas, cette douce ode à la danse en tant que vecteur de socialisation est jolie comme tout.