LIVRE : La Demeure et le lieu de Julien Bosc - 2019
C'est avec respect et délicatesse qu'on se doit d'ouvrir ce petit livre de Julien Bosc, puisque son auteur est mort récemment et que La Demeure et le lieu a tout d'une dernière trace testamentaire laissée en cette terre. Et ça tombe bien : la délicatesse semble aussi être un des maîtres-mots de ce recueil de poèmes, qui fait de la petitesse des sentiments son cheval de bataille. Bosc vit à la campagne, dans une solitude totale si on l'en croit, et compense ses tendances dépressives par une observation très fine et tendre de la nature qui l'entoure. Les oiseaux, les chats, le frissonnement du vent, les traces ou les cris de bêtes mystérieuses, les insectes, tout lui est occasion de croquer dans un style pas si éloigné des haikus le monde merveilleux qui l'entoure. Je vous vois venir : poésie et nature, voilà qui laisse craindre une écriture mièvre et cul serré de poétesse amatrice du dimanche de salon de thé. Et c'est vrai qu'au vu des premières pièces du recueil, on tremble un peu, le temps de s'ajuster : n'aurait-on pas droit à cette mièvrerie un peu ringarde qui consiste à considérer la poésie comme une petite chose fragile, les mots comme des pièces de cristal qu'il faut manier avec des pincettes ? On hésite à poursuivre, on referme puis on rouvre, on est tout désemparé ; mais quelque chose retient l'attention pourtant, cette sorte d'acuité bienveillante, ce regard certes tendre et doux mais aussi très pertinent sur la nature, et puis ces brusques accès de tristesse qui viennent strier la page, bouleverser l'ordonnement parfait du monde.
On continue donc, et on fait bien : d'une grande cohérence et homogénéité, ce livre vous rentre doucement dans le coeur, en prenant le temps, et peu à peu on adore ces petites notes très sensibles sur les animaux, les arbres, l'état du ciel. Surtout on aime que Bosc, à travers ces notes en dentelle sur la campagne, parle par la bande de sa grande solitude : il alterne quelques poèmes lumineux légers, qui notent la simple posture d'un chat ou l'étrange bruit d'un pic-vert, avec des pièces beaucoup plus sombres, presque menaçantes, frôlant parfois le désir de suicide, évoquant parfois la perte de quelqu'un (maîtresse ? ami ?). C'est ce savant mélange, qu'on peut appeler mélancolie, qui fonctionne dans ces poèmes, tout comme leur étrange musique, un peu désaccordée : la pratique du vers, chez Bosc, se fait par des rythmes heurtés, qui ne rompent pourtant jamais une certaine harmonie du monde. Les vers sont coupés mais se prolongent sur la même ligne, certaines phrases restent en suspend, parfois c'est juste un mot parfois une phrase entière, et tout ça a une belle cohérence. On y voit à la fois un poème dessiné dans la page (et remercions une fois de plus les éditions Faï Fioc de la beauté de leurs livres) et un rythme se fabriquer. Bref, un bien bel objet, finalement, secret et douloureux.