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5 mai 2020

La grande Bouffe (La grande Abbuffata) de Marco Ferreri - 1973

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Tous les pseudo-rebelles d'aujourd'hui ont beau faire les malins, pas un seul n'arrive à la cheville de l'irrévérence de Ferreri dans La grande Bouffe. Aujourd'hui encore, le film garde tout son caractère violemment anti-bourgeois, son aspect crasseux, son impureté, et on le range sans problème auprès du Salo de Pasolini ou du Tristana de Buñuel dans le genre grinçage de dents. Sans souci aucun de plaire à qui que ce soit, et surtout pas aux tenants d'un cinéma esthétique et clinquant, Ferreri nous adresse un gros fuck sous la forme d'une fable excessive et décadente : quatre bourgeois ont décidé d'en finir avec cette chienne de vie, et de le faire à travers ce qu'ils préfèrent : l'amitié, le sexe, et surtout la bouffe. Leur chant du cygne se fera donc lors d'un week-end enfermé dans une villa d'un autre siècle, où ils vont engloutir jour et nuit des monceaux de victuailles jusqu'à en crever. Mais comme Marcello, le plus paillard d'entre eux (et aussi le plus impuissant...) ne peut vivre sans elles, on convoque aussi quelques prostiputes peu farouches et la maîtresse d'école voisine, qui va se montrer aussi vorace que ces messieurs, en matière culinaire tout autant que sexuelle. On passe donc plus de deux heures à voir ces tristes et pathétiques sires s'empiffrer de pâtés richissimes, de crêpes baignant dans le Grand-Marnier, de cuisses de dinde par dizaines, de pièces montées rabelaisiennes, de montagnes de purée, leurs libations à peine entrecoupées de troussages de femmes et de siestes digestives.

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Dès les premières scènes, on sent la morbidité qui va se dégager de tout ça, et aussi l'attaque frontale envers les institutions : nos quatre compères représentent tous un versant de la virilité ou de la notabilité. Ugo (Tognazzi) est un grand chef cuisinier mal marié ; Philippe (Noiret) un juge dépressif qui vit avec sa nourrice ; Marcello (Mastroianni) est un steward vieux-beau adepte de femmes ; et Michel (Piccoli) un présentateur de télé débordé. Tous vont se retrouver pour ce week-end hors de tout, qui les mène tristement à leur fin. Les libations auxquelles ils se livrent ont tout pour être joyeuses et libérées : elles seront empreintes de ce sentiment de perte de tout, valeurs, vies, dignité, amour. Les scènes de bouffe sont traitées comme du gavage pour ces bourgeois désabusés, qui se tuent par ce qui les a nourris : le luxe, l'excès. Au milieu d'eux, la brave Andréa (Ferréol), véritable mère, nourricière et sexuée, évolue comme un oiseau, offrant ses faveurs à tous, mangeant autant qu'eux mais s'en sortant parce qu'elle est du côté de la vie, alors que les hommes sont de celui de la déchéance. Un film tristissime, oui, difficile à regarder tant tout y respire la mort et la perte de dignité : Mastroianni qui baise comme un monstre avide, Piccoli qui pète en engloutissant un pâté monstrueux, Tognazzi qui meurt en se faisant branler, Noiret qui regarde la femme qu'il aime s'envoyer en l'air en y croyant encore tristement, tout est sale et vulgaire, tout est repoussant... et tout est génial.

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Parce que derrière cette farce macabre, derrière ces provocations (qui culminent avec l'explosion de la chasse d'eau et les litres de merde qui se déversent sur les compères), on sent que Ferreri est plus sensible que ce qu'il paraît. A travers le portrait de cette classe dirigeante qui meurt de trop manger, à travers ce pamphlet anti-capitaliste et très politique, on entrevoit une grande détresse dans son regard, et une confiance dans le dernier vestige de la civilisation : l'amitié. Ces quatre-là sont amis, malgré leurs disputes ou la prétendue indifférence qu'ils montrent dans leur regard sur les agissements des uns et des autres. C'est tout le génie des interprètes d'arriver à faire percer derrière la grimace cette petite part d'humanité qu'ils ont jusqu'au bout : Piccoli qui gratte une petite mélodie au piano, Mastroianni hilare au volant de sa voiture, Piccoli encore hurlant face à la mort de son copain (cet acteur est le spécialiste du cri déchirant, je vous le dis) et c'est toute une part d'enfance qui leur est rendue. Mais ils sont également rendus à une forme de bestialité, l'univers se réduisant peu à peu à la mastication, le pet, l'orgasme. Leurs morts seront les plus originales et les plus belles qui puisse se faire, la Palme revenant à celle de Michel : incapable de jouer du piano pour couvrir les bruits de son intestin qui se vide, il meurt à cheval sur une ballustrade, en équilibre dans sa chute. Ce qu'on demande aux comédiens est effarant, et pourtant ils le font avec une gourmandise, un sens du jeu, une inconscience qui font chaud au coeur. Ils sont pour beaucoup dans la réussite du film, parce qu'ils obéissent à Ferreri, rentrent dans son délire, sans aucun souci d'image. Un grand moment de scandale, qui n'a pas pris une ride.

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Commentaires
N
Et ce film de Jacques Brel dont il est mention dans le lien de Mitch, je ne l'ai jamais vu, ça vaut quoi ?
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D
Et Tognazzi dans une imitation renversante de Brando dans Le Parrain, sur fond de jolie rumba au piano de Philippe Sarde. Oui, tout ça est assez pétaradant.<br /> <br /> Vous connaissez l'image célèbre de cette dame indignée, sortant d'une projection du film , à l'époque, et criant avec véhémence "C'est un scandale ! Un scandale!" ...
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