La France contre les Robots de Jean-Marie Straub - 2020
Voilà quelques temps qu'on n'avait pas eu des nouvelles de Straub, qui va bien, je vous remercie, en tout cas si on en juge par la forme brillamment joyeuse (nan, je plaisante...) de La France contre les Robots qui tombe aujourd'hui comme par miracle dans l'escarcelle du précieux compère Shang. Le long d'un lac (de Genève ? la dédicace "A Jean-Luc" qui ouvre le film l'induit, tout comme la présence persistante d'un cygne ou la douce mélancolie qui émane de cette image), un homme se promène, de trois-quart dos, en évoquant le texte mi-révolté mi-désespéré de Bernanos sur la révolution face à la technocratie. C'est comme d'habitude complètement abscons, la direction d'acteurs étant réduite à un travail précis jusqu'à la maniaquerie sur la musique des mots : notre pauvre gars cette fois, semble avoir eu pour consigne d'aller jusqu'au bout de son souffle, puis de prendre son temps pour reprendre ses respirations, sans tenir compte du rythme interne du texte ou de sa ponctuation ; tout en respectant des marques précises dans son périple, de façon à ce que ce discours s'interrompe sur un plan face au lac, débarrassé de toute végétation, ouvrant si on peut dire sur l'avenir. Ça a l'air coton, vu qu'on a fait le film deux fois, et que Straub a monté les deux versions à la suite, avec des variations sur la lumière, la diction ou le monde extérieur (ce putain de cygne qui prend des poses, par exemple). Bien, et le résultat ? Eh bien disons que, parmi les productions récentes de Straub, c'est peut-être la plus lisible, la plus mélancolique, la plus "facile". Le texte, en français, est clair et droit, malgré la complexité de la construction bernanossienne, et ce choix de le faire dire par un homme vieillissant abandonné à la contemplation solitaire du lac est payante dans le contexte : la révolution se fomente, la colère monte, les grands corps d'état sont fustigés, dans le calme minéral de ce paysage quiet, et l'effet fonctionne. Straub inscrit une nouvelle fois précisément une parole dans un territoire, mais cette fois en travaillant sur l'opposition entre les deux plus que sur leur osmose ; et la violence du texte rompt avec la grande douceur de ce plan (oui, je ne l'ai pas dit, mais c'est un plan-séquence). Un film tout de discrétion et de mélancolie donc, qui montre un vieil homme toujours au travail et se moquant toujours autant de ce qu'on pensera de son film, un cinéma en liberté totale, difficile et raide, mais qui gagne beaucoup en douceur avec le temps, du Straub, quoi, qu'est-ce que vous voulez ?...
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez