Honeyland (2019) de Tamara Kotevska & Ljubomir Stefanov
On n’est bien nulle part. Hatidze connaît les ruches et les abeilles de la Macédoine comme personne. A flanc de colline, dans des troncs d'arbres ou derrière les murs de bâtisses proches, elle sait exactement où se trouve le miel. Son credo : laisser à chaque fois la moitié de la récolte aux habitantes de la ruche. Une vie en harmonie avec la nature. Elle doit également s'occuper de sa mère, vieille, infirme, pour laquelle elle doit faire preuve de patience tant la vieille est totalement dépendante d'elle. Et puis… et puis une famille de nomades turcs arriva (le père, la mère, les trente-huit enfants - c'est juste un constat), une famille menée justement par ce père prolofique mais pas trop regardant quand il s'agit de faire du miel et d'élever son bétail… Rapidement, c'est la guerre des abeilles dans le bled, et donc la guerre entre voisins. Non pas que Hatidze soit particulièrement revancharde envers les conneries du sieur (d'autant qu'elle s'occupe avec bonheur de certains gamins dudit voisin) mais force est de constater qu'en quelques semaines, le Turc détruit ce fragile équilibre : en ne laissant pas suffisamment de miel aux abeilles (qui attaquent donc leur voisine), en coupant des arbres abritant des ruches, en mettant le feu à la colline ; bref, un sagouin qui tente de tirer certes son petit profit pour nourrir sa famille, mais au détriment de notre précautionneuse Hatidze et de l'environnement - une histoire en miniature des rapports de l'homme avec la nature ; il y a les soigneux (aucune abeille d'ailleurs n'a jamais piqué Hatidze) et les bourrins (chez les nomades, c'est le carnage : du père au nourrisson, tout le monde a son lot de dards chaque jour que Dieu fait)...
Il faut aimer les paysages désertiques de la Macédoine, les rapports mère-fille a minima (elles font un peu pitié ces deux vieilles dans leur isolement - mais elles tiennent le choc à grand coup de miel et de bananes) et se donner le temps d'apprécier ce conte qui se déroule au rythme des saisons ; alors même que la vie d'Hatidze est réglée comme une pendule (sa tournée de miel), nos gars les nomades donnent vraiment l'impression de partir en vrille (les engueulades entre tous les membres de la famille font partie du quotidien - chacun, niveau insulte, à un vocabulaire bien fourni) ; on se demande parfois comment les gamins parviennent à survivre (et la vache qui passe à ça du bébé, et l'abeille qui rentre dans son manteau... et le hérisson qui niche dans la caravane - non, pardon, je déconne, il n'y a que des poules et des canards dans l’habitat sur roues, hygiène first). Hatidze fait pourtant son max pour tolérer ces voisins bruyants, n'étant jamais la dernière pour emmener un gamin avec elle voir ses ruches ou pour donner des conseils ; mais le nomade sait tout sur tout et part droit dans le mur. Et surtout, risque de tout flinguer dans ce coin du monde isolé où jusque-là les ruches étaient reines – Hatidze prie le ciel pour qu’ils repartent dare-dare (oui, on les a déjà épuisées ces jeux de mot à la con, je sais…). C'est un peu lent certes, les silences (enfin surtout dans la baraque d'Hatidze) occupent une bonne partie de la journée mais la démonstration proposée (qui progresse alvéole par alvéole) vaut au final franchement le détour : tout une philosophie de la vie dans un pot de miel. Le meilleur doc macédonien de l'année - sans rival.