L'Oiseau des Printemps révolus (Sekishunchō) (1959) de Keisuke Kinoshita
Encore un film de Kinoshita qui joue habilement de la nostalgie à propos de l'amitié comme de l'amour... Un jeune gars, censé être parti deux ans pour suivre des études à Tokyo, revient dans son village natal. L'occasion pour lui de recroiser ses quatre anciens potes, de retrouver leur bonne vieille solidarité, de surfer sur leur sens de l'empathie ; il est sans le sou et compte bien sur un petit effort de chacun pour renflouer ses caisses ; il est également question, en parallèle, de l'histoire de l'oncle d'un des gars, aujourd'hui alité (les poumons, bordel), qui est parti un jour avec une jeune fille avant que leur histoire ne foire. Celle-ci, devenue geisha, souhaiterait le revoir - lui, perdu dans sa maladie, attend semble-t-il tranquillement la mort... Il est beaucoup question du sens de l'honneur, dès le départ du film, avec cette fameuse (?) légende des tigres blancs qui sont morts pour défendre leur village : cette chanson que les jeunes chantaient alors et chantent encore, est un peu devenue leur hymne, leur repère, leur point d'ancrage ; comme ces jeunes gars, semble-t-il, ils aimeraient rester, malgré les ans, fidèles à leurs idéaux et par-delà fidèles à leur amitié. Malheureusement cette chienne de vie est toujours là pour foutre la rage : et leur amitié, de se déliter au gré de circonstances particulières...
On est un peu triste de voir que ce jeune gars qui gratte l'amitié dès son retour n'est plus celui qu'il se vante d'être... On apprendra au fil du film que le type est devenu un petit escroc... De même, on est chagrin de voir, que l'un des jeunes gars, engagé dans la cause de gauche (alors que ses potes sont assez aisés) est prêt à tout pour se marier avec la petite amie de l'un de ses potes et ainsi avoir une vie plus aisée ; certes chacun a ses raisons, chacun des deux gars voudrait s'extraire à sa façon de sa condition mais cela se fait forcément au détriment du groupe : petits mensonges, sens de l'opportunisme, les deux finissent par privilégier leur sort à celui de la cohésion de ces cinq doigts de la main... Des tigres blancs de papier en quelque sorte... Quant à l'oncle, il semble lui foncer tout droit dans la déprime... Il finit malgré tout par se secouer les puces et par rejoindre cette aimée ; eux aussi, ils rejouent (superbe séquence nocturne, sous la pleine lune, dans la neige opportune) leur petite danse rituelle pour se souvenir du bon temps... Et repartir à zéro ? ou pour s'autodétruire ? (un indice, le Japonais ne badine pas avec l'amour perdu...)... Tous ces liens, toutes ces relations, qui paraissaient si exaltants au début tournent un peu en eau de boudin. La musique du frère du Kinoshita dramatise intensément ces moments déceptifs qui paraissent d'autant plus dommageables après quelques belles séquences où nos gars se confiaient leurs petits secrets - alanguis au bord de l'eau (d'un bain nippon) ou exaltés à boire du saké sur le tatami. Les lieux clos des confessions s'opposent aux scènes en plein air où souffle un petit vent de folie (le combat entre les jeunes sur la fin), notamment sur cette colline, lieu d'exaltation et d’affrontement. Un film commencé sous le sceau de l'amitié (et de l'amour) éternel qui se termine un peu dans une impasse. Belle petite œuvre triste (avec des couleurs toujours aussi magnifiques) d'un Kinoshita déjà relativement mature.