LIVRE : Encre sympathique de Patrick Modiano - 2019
Modiano, incontournable, quasi annuel au niveau de sa production, allénien en un sens, toujours le même, hein, et puis toujours un peu subtilement différent... On connaît notre homme par cœur ayant lu avec soin chacun de ses romans et, plutôt que de nous en lasser, on finit par s'amuser au détour d’une page de retrouver encore et toujours les mêmes mots-clés : somnambule, blanc, souvenir, grésillement sur les ondes, passé et présent qui ne font qu'un, oubli, découverte, bribes... C'est l'éternel récit, ici, de celui qui cherche pour mieux se découvrir, ou plus précisément (attention, accrochez-vous à la rampe) de celui qui cherche ce qu'il a déjà découvert mais qu'il a oublié, et qu'il se doit donc de redécouvrir. Ça commence comme un film de Truffaut avec une sorte de Doisnel dans une petite agence de détective (un homme recherche une fille sur la demande d'un client - cette quête, bien au-delà de la mission et du job vite quitté, va devenir obsessionnelle - ou tout du moins va se retrouver au centre du roman) et ça finit, forcément, comme un Modiano avec un homme qui trouve ce qu'il cherchait vainement… mais sans vraiment savoir qu'il l'a trouvé (sans en avoir pleinement conscience si vous voulez - bref, putain, cela reste flou jusqu’au bout, puisqu'on évoquait plus tôt les mots clés). Des noms communs, des lieux (Paris, bien sûr, petit retour à Annecy aussi, et puis puisque tous les chemins même les plus inconscients y mènent, petit passage par Rome), des personnages qui ont la mémoire courte, d'autres qui l'ont longue mais qui la font courte, un puzzle, comme d'hab, que l'on reconstruit au fil des hasards, des bribes de conversation ; les repères temporels sont effacés, on tente malgré tout de chercher un lien entre passé et présent car au final tout est lié : reste juste à trouver les mots, des mots toujours sur le fil of course, pour retrouver la perle, la femme disparue, la femme "aimée" du temps passé, une flamme en quelque sorte à retrouver, à ranimer. Modiano semble s'amuser autant que nous avec cet éternel petit jeu de pistes, un jeu de piste avec ses impasses, ses rencontres souvent décevantes qui ouvrent tout de même de nouvelles voies, ces petits incidents du hasard qui permettent toujours de rebondir. La page blanche, amnésique, se remplit progressivement de caractères pour tenter de faire ressortir la vérité, une vérité, ou tout du moins un semblant de vérité ; une encre qui collabore sympathiquement avec notre auteur pour faire ressurgir progressivement des traces du passé, des traces qui dessinent à la longue un motif, les pleins de sans finissant par devenir plein de sens. Modianesque, forcément. Un petit roman tenu qui creuse encore et encore le sillon des rencontres que l'on pensait à jamais oubliées et que l'on cherche éternellement à exhumer - comme un parfum éternellement présent dans le vêtement oublié d'une femme aimée.