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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
5 janvier 2020

Portrait de la jeune Fille en feu de Céline Sciamma - 2019

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Céline Sciamma est la plus grande cinéaste française vivante, je pense qu'on est tous d'accord là-dessus pour commencer (avec Bruno Dumont, j'y reviens). Une fois cette base plantée, penchons-nous sur son nouvel opus, avec la totale admiration et l'émotion désormais dues à chaque nouveau film. C'est une nouvelle fois renversant de beauté, d'émotion, d'intelligence. A chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, Sciamma parvient à creuser un peu plus ses thématiques habituelles (les femmes entre elles, le trouble identitaire, le corps) tout en renouvelant radicalement son style. Le résultat est prodigieux : on sent à chaque seconde du film la pulsation des coeurs et des corps, cette énergie physique et sexuelle qui déborde de l'incarnation des corps, et cette intelligence de cinéma totale. On est pourtant, dans les premières minutes, en terrain nouveau : au XVIIIème siècle, sur une île perdue, dans une demeure austérissime, une peintre est engagée pour faire le portrait d'une jeune fille, portrait visiblement obligatoire si on veut finaliser son mariage avec un richard quelconque que la fille n'a jamais vu. Celle-ci freine des deux fers, peu désireuse de se laisser posséder par un inconnu, avide de découvrir les choses de la vie avant que de s'enfermer en juste noces. Aussi la peintre a une mission : peindre la fille en secret, et lui faire croire qu'elle est là en tant que femme de compagnie. Peu à peu ces deux déracinées, ces deux exilées, ces deux femmes situées chacune d'un côté de la barrière (la libre et la sacrifiée) vont développer des relations amicales, puis amoureuses, vivant au bout du compte ue passion folle et éphémère, et trouvant dans les quelques jours passés dans cette intimité le sens total de leur vie.

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Le film s'ouvre sur un plan pialatesque : une main qui commence à esquisser une forme sur une toile, et on est happé par ce geste aussi simple que sophistiqué. Il marquera l'ensemble du film. Dans un mélange d'amusement et d'austérité, Sciamma nous fait toucher du doigt le sentiment amoureux, cet ineffable vertige qui saisit l'artiste au moment de peindre coïncidant avec ses émois amoureux naissants. Tout le film va être ainsi constitué de scènes dont la pudeur et la précision bouleversent, mais qui ne s'embarrasse pas non plus de pincettes. Côté amusement, Sciamma explore des idées de mise en scène légères et parfaites : c'est les deux femmes prises de profil, l'un effaçant l'autre ou le dévoilant pour développer des jeux de regard incroyables ; c'est un jeu avec le spectateur pour dévoiler ou non l'identité d'un personnage (la bonne qui prend la place d'Héloïse comme modèle), c'est du faux suspense (Héloïse qui court vers la falaise comme pour se suicider avant de balancer son plus beau sourire), c'est ce léger anachronisme sur la partie de cartes, c'est le jeu tout en subtilité et en gaieté des géniales comédiennes (Noémie Merlant, Adèle Haenel et Luana Barjami). Cette lumière apparente cache pourtant de bien sombres thématiques sur l'enfermement des femmes, sur l'impossibilité d'aimer qui on veut. Ces trois femmes (il faut ajouter au duo principal la bonne, discrète mais bien présente) apprennent à vivre, à s'amuser, à souffrir, à s'entraider, à baiser ensemble, et il y a quelques plans où l'absence complète des hommes éclate aux yeux : Portrait de la jeune Fille en feu est un film féministe, oui, mais doté d'un regard intelligent, sans mépris, sans militantisme. Il dit simplement qu'à une époque (?), les femmes ont dû apprendre à vivre seules, entre elles. Le personnage très moderne de Marianne, cette peintre libre qui fait des hommes nus en contrebande, renvoie à notre époque, subtilement. L'amour entre ces deux femmes, même éphémère, même clandestin, et leur amitié/soutien par rapport à la bonne, témoigne aussi de cette émancipation du joug masculin.

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Le film met du temps à se faire aimer. Les premières scènes sont froides comme la glace, austères à mort. Mais cette austérité, peu à peu, amène l'émotion. Par exemple, le film est complètement dénué de musique, sauf à deux endroits, et ce sont les deux endroits les plus bouleversants : l'un est un choeur de femmes qui monte dans la nuit, autour d'une fête et d'un feu, et les sentiments, d'un seul coup, s'emballent plus que de raison ; l'autre est cette toute fin ravageuse, long plan sur Haenel accompagné de la musique de Vivaldi, un des plans les plus beaux de Sciamma. Les scènes, longues, magnifiquement écrites, précises jusqu'à l'obsession, tranchent avec ces plans courts qui vous sautent aux yeux (un plan faussement sexuel d'une main glissé sous une aisselle, le petit détail attrapé dans une toile et qui dévoile les sentiments, les deux ou trois apparitions d'Haenel en fantôme, très "à la Brontë"), dans une grammaire de cinéma impeccable. Et puis il y a ces comédiennes, géniales, inoubliables, intenses et lumineuses ; et puis il y a ce décor gothique et romantique de plage et de demeures vides ; et puis il y a ces plans magnifiques sur la peinture en train de se faire ; et puis il y a cette mélancolie brutale (tant pis pour l'oxymore) qui se dégage de cette histoire ; et puis et puis il y a que Sciamma est immense, que voulez-vous, et qu'elle réalise ici le film le plus intelligent et le plus émouvant de l'année. Ma Palme est attribuée, pour ma part.  (Gols 04/10/19)

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Ah oui là, on est dans la ligne claire, la ligne pure : Sciamma réalise un nouveau film de femmes entre elles et l’on est une nouvelle fois sous le charme brut de bout en bout. D’hommes, il en sera vaguement question au départ, des hommes veules, incapable d’aider la peintre pour repêcher ses affaires comme pour l’aider à les transporter. D’hommes, de toute façon, point besoin est (merci maître Yoda pour me donner la force), nos trois femmes pouvant haut la main se débrouiller sans par la suite : pour peindre, pour avorter, pour jouer, pour s’embrasser.

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Notre peintre, dès les premiers plans, s’accroche à ses toiles sur le point d’être englouties par la mer comme si la peinture était pour elle sa bouée, ce sans quoi elle ne pourrait vivre ; Sciamma nous fait ensuite patienter quelques instants avant que l’on découvre cette jeune maîtresse énigmatique (neurasthénique ou passionnée ?). C’est son image, d’abord, que la peintre doit apprivoiser, doit voler… Et puis de fil en aiguille, de coup en pinceau en coup de pinceau, par le jeu des regards, des observations, ce sera tout bonnement son âme qu’elle parviendra à prendre – une âme volée mais une âme aussi donnée (celle de la peintre) en échange. La peintre, le temps d’une pause / pose, n’hésite pas à venir au côté de modèle pour partager son univers, ses doutes, ses craintes quant à son avenir. Puis le modèle viendra finalement au côté de la peintre pour partager son univers, sa liberté, sa création, sa vision. Deux êtres finalement au goût si semblable – une belle complicité qui se donne le temps de naître et que très peu d’ombre viendront compromettre – mais au destin inéluctablement différent ; la peintre aura beau faire et défaire sa toile pour retarder le moment des séparations, viendra un temps où elle ne pourra plus que posséder une chose chez son modèle : le souvenir de son image. C’est un amour qui comme le dessin sur la toile prend le temps de s’épanouir, se construit par petites touches, par les échanges verbaux, les échanges de regard, les échanges de sourires, et qui atteint en à peine quelques jours sa pleine maturité – mais cet amour, tragiquement, classiquement, en ce siècle où les femmes d’une certaine classe n’ont pas le choix de leur sort, est forcément voué à partir en fumée. Restent les émotions, le souvenir évident et immense de ses émotions, et le dernier plan est d’une intensité à faire fondre les armures.

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Sciamma, une nouvelle fois, dirige de main de maître ses trois actrices : l’on sent qu’aucun mot n’est dit au hasard, qu’aucun geste, qu’aucune posture n’est improvisé, que chaque regard a été auparavant pensé, travaillé. C’est filmé au cordeau, avec malgré tout une grande fluidité et les actrices, malgré ce cadre strict imposé, souvent filmées uniquement en plan américain, parviennent encore à rester naturelles, à paraître libres. Tout paraît simple, ici, comme l’évidence d’une histoire d’amour mais l’on sent parfaitement que tout a été millimétré par avance pour obtenir un tel don de soi des actrices, pour avoir une telle palette de couleurs si éblouissantes – les séquences sur la plage sont notamment d’une luminosité confondante. Bref, de pair avec mon compère, encore une totale réussite chez Sciamma dont on guette plus que jamais chaque scénario et chaque réalisation. On fire, I am.   (Shang - 06/01/20)

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Commentaires
S
Je ne sais plus qui a dit ça, que personne ne parle dans la vraie vie comme les personnages de Hemingway sauf quelqu'un qui a lu Hemingway. Eh bien dans Petite Maman les gamines ne parlent pas comme des enfants et c'est en cela que ce film fantastique est le plus fantastique. Je partage tout ce qu'en dit votre critique à deux têtes (qu'on ne pleut plus commenter). Une toute petite chose sinon : si l'arbre déraciné fonctionne très bien en tant que porte temporelle ou "terrier d''Alice", il est un symbole (du deuil, de la fracture) un peu massif. (Et pourquoi voudriez-vous ajouter de la matière ? Ce petit film est parfait.)
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A
d'un ennui digne d'une dramatique de l'ORTF années 60 <br /> <br /> il est politiquement incorrect de ne pas trouver du génie à mademoiselle Sciamma mais ouvrez les yeux
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B
Ah beh dis donc, il y a ceux qui crachent sur le brasier et ceux qui brûlent dedans. Comme vous, Gols et Shangols, j'y brûle complètement (mon propre texte, que voulez-vous, n'est que fièvre romanesque pour la réalisatrice et ses magnifiques comédiennes)
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A
D'accord sur toute la ligne. Toujours un plaisir de vous lire quotidiennement.
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