Garde à Vue de Claude Miller - 1981
Un huis-clos implacable et superbement écrit, porté par deux monstres sacrés du cinéma dans un face-à-face plein de suspense. Voilà, ça c'est la critique habituelle. Et on pourrait même la prendre pour argent comptant, tant il est vrai que si on est bien luné, oui, Garde à vue est un huis-clos implacable et superbement écrit, porté par deux monstres sacrés du cinéma dans un face-à-face plein de suspense. Mais si on gratte un peu, on se rend compte que ce film est un peu tout sauf ça. Attention, je ne dis pas qu'à son époque, il n'a pas dû paraître tel, et c'est vrai qu'il garde quelques traces de talent. Miller n'est pas le dernier des imbéciles pour trousser un film d'une grande honnêteté et d'une grande rigueur, et parfois son truc est bien agréable. Mais mais...
- Mais "huis-clos", d'abord, à grand-peine : si l'essentiel du film est dans cette confrontation entre un flic et un suspect dont le premier sait très bien qu'il est coupable, Miller a du mal à conserver cette austérité-là, et ne tient plus dès qu'il a l'occasion de sortir de son atmosphère étouffante. Ce sont des flashs-back très illustratifs sur ces petites filles étranglées (qui sont le sujet principal de l'enquête), c'est une rencontre avec la femme du suspect dans un salon feutré et sous-éclairé, c'est un final devant le commissariat, assez grand-guignol d'ailleurs. Le film aurait été bien meilleur s'il n'avait pas dérogé à ses règles d'origine.
- "Superbement écrit", ensuite, non, je m'insurge : les dialogues d'Audiard, même intelligents, même parfois brillants, anéantissent les tentatives formelles de Miller, qui voudrait bien faire dans le réalisme. C'est, comme d'hab, un festival de sentences fines et de bons mots de bon goût, et on s'en fout. Le sommet est atteint avec cette réplique pas si éloignée que ça du mythique "L'escalade" de Je vais bien, ne t'en fais pas : "La corne de brume, Martinaud, la corne de brume", phrase sensée renverser la situation mais qui n'est que ridiculement petite vu le contexte.
- "Deux monstres sacrés", bon, là c'est plus discutable, mais voilà : je trouve que d'une part Lino Ventura, très honnête, ne se foule pas beaucoup, dans son habituel emploi de commissaire bourru à qui on ne la fait pas, et qui a toujours l'air de nous préparer une grosse baffe qui va bientôt partir ; et que Michel Serrault, même assez bon dans ses mines de petit malin, assez fin dans son rôle de mec qu'on déteste forcément, a beaucoup de mal avec le texte d'Audiard et avec cette contradiction qui l'oblige à jouer "réaliste" des répliques qui ne le sont pas. A tout prendre, on préfère Guy Marchand, même si son rôle est lui aussi assez caricatural ; ou Romy Schneider, encore toute décoiffée d'avoir à jouer une femme qui s'appelle Chantal Martinaud et toute ébahie d'avoir à camper cette salope intégrale, dont on aime la façon dont la maltraite Miller.
- "Plein de suspense" enfin, moui. Disons quand même, et c'est presque une des qualités du film, que tout est prévu d'avance, la culpabilité de Serrault (tout le monde l'a vu, non ? je balance rien ?), les débordements de Marchand, les différentes phases de l'interrogatoire de Ventura... Plutôt que d'assumer ce côté implacable, où tout est déjà écrit avant même que le film commence, Miller, là encore, biaise un peu, fait semblant de jouer au chat et à la souris, oublie le sujet principal du film : le rapport entre deux mondes, deux classes, deux manières d'être, deux côtés de la loi. Il y avait là, pour Audiard, pour les acteurs, pour Miller, matière à creuser, à fabriquer un film chabrolien, presque politique. Mais cet interrogatoire qui se concentre uniquement sur "qui a tué ?" manque d'envergure, on a dans n'importe quel polar français d'aujourd'hui mille fois plus de nuances sur cet exercice ardu de l'obtention de la vérité. On aurait aimé aimer Garde à Vue, mais toute cette équipe de gens pourtant compétents sur le papier, n'obtient qu'un film à petits bras, qui ne raconte pas grand chose et se contente de donner de la star à un public facile à contenter.