Enfance (Shōnenki) (1951) de Keisuke Kinoshita
On reste en enfance sur Shangols avec cette œuvre de Kinoshita (vous commencez à connaître, non ?). Keisuke aime les petits, ou tout du moins ceux qui n'ont pas pour raison de vivre la gloriole (c'est certes plus facile après-guerre de faire dans le modeste, mais ne soyons point cynique). Il est surtout question ici d'une mère et son fils, une mère courage prête à tout, avec le sourire et les mollets, pour nourrir sa famille, et un fils ado prêt à tout, avec un certain esprit de résilience, pour faire le dos rond, subir et grandir. Cette petite famille (les parents et trois gamins) quitte Tokyo pour se faire évacuer à la campagne ; l'avantage ? Les raids aériens qui en 1944 commencent à menacer la grande ville nippone ; l'inconvénient ? la population locale guère encline à voir ces intellectuels venir dans leur jardin pour bouffer leurs patates. Dans un premier temps, le gamin, Ichirô, reste seul à Tokyo pour ne pas avoir à changer d'école... Seulement voilà, il est vite dans la ligne de mire de l'un des instructeurs (dès l'école, on forme de futurs soldats, la chierie) : ce gamin malingre qui court voir sa mère à la cambrousse dès qu'il y a une alerte se fait forcément mal voir de ces connards sans cœur ; tu me feras trois tours de l'école et sur un rythme plus élevé... Le gamin craque et vient s'installer avec ses parents... Mais là encore (les enfants sont cruels) il devient rapidement au sein de l'école une tête de Turc... La mère, elle, est sur tous les terrains (couture, bouffe, cuisine, rangement...) pour pallier une certaine défection du père... Ce dernier (guère favorable à l'esprit guerrier...) passe sa vie à lire sans agir. Un intellectuel qui emmerde en silence les autres mais qui donne aussi une sale image de la famille. Si ça fait marrer la mère, toujours débonnaire, le fils serre un peu plus des fesses ; dans cette époque de patriotisme à tout va, son père ne se pose guère en modèle et il en paye un peu le prix à l'extérieur... Pourra-t-il, notre Ishirô, s'en remettre ?
On aime cette capacité chez Kinoshita à monter en parallèle ces chants guerriers, ces images de militaires partant vaillamment au front et ces plans plus serrés sur ces individus, la mère et le fils en particulier, qui regarde tout cela d’un peu loin... Certes, le fils, brimé, voudrait s'engager, être finalement comme les autres : il souffre trop des rumeurs qui courent sur son branle-manette de père... Mais on sent bien que tout le film tend finalement vers un but : montrer que le père, à la fin, sortira vainqueur de cette période (il n'a pas perdu son temps, lui, passant sa vie à bouquiner sans jamais croire à une quelconque victoire) et qu'il finira bien, grâce à son attitude zen pendant cette période troublée, par gagner les faveurs de son fils. Cela part un peu de loin, mais cela permet aussi avec cette réconciliation finale, de montrer une constante complicité entre une mère et son fils durant une guerre qui trouble les repères et qui va décimer et séparer les familles à tous les niveaux (très beau poème (teinté de pacifisme) cité dès le départ que je vous incite à apprendre par cœur). C'est elle qui parvient toujours à lui arracher un petit sourire, à ce grand nigaud qui n'a pour tout autre centre d'affection que ses poules... Il n'y a pas de "grands moments", de grandes scènes entre eux, mais ce lien se construit joliment par petites touches... Les scènes peut-être les plus marquantes sont celles où Ishirô doit faire face à la bêtise de ses profs ou de ses camarades (il n'a pas fini d'aller la chercher par terre sa casquette...) mais sa patience, en un sens, finira par payer. Film "joliment démonstratif" sur ces petites gens qui, pendant la guerre, n'ont eu d'autres soucis que de survivre "paisiblement", un film sans doute à contre-pied de tout idéal va-t-en-guerre qui fleurissait six ans plus tôt, une œuvre à "hauteur d'homme", sobre, propre, digne qui manque sans doute (pour faire la fine bouche) de "grandes scènes" plus touchantes pour ressortir de la filmo de Kinoshita (A noter tout de même les très belles séquences dans la première partie avec "les cerisiers en fleur dans le vent" comme symbole de la douceur de la vie versus le massacre guerrier).