The Brat (1931) de John Ford
Eh oui, il est des films qui constituent (pour notre humble équipe) de véritables Graal. Celui-ci en fait partie. Alors oui, la copie n'est pas d'une qualité parfaite (devinez quels sont les photogrammes et quelles sont les photos de tournage : gros défi). Alors oui, ce n'est pas le chef-d’œuvre du siècle dernier. Mais il s'agit tout de même d'une agréable comédie qui donne son petit lot de satisfaction. En premier chef grâce à la présence de la pimpante Sally O'Neil : candide, naturelle, elle endosse un rôle qui s'approcherait presque des "roses in the gutter" des films de Borzage. En second lieu parce que la chtite se retrouve entre deux frères : l’un, pompeux, écrivain à succès, l'a recueillie dans un tribunal (il a payé sa note de resto pour qu'elle ne soit pas condamnée) - il souhaite, ce bougre de MacMillan, s'inspirer d'elle (cette « petite femme du peuple ») pour un bouquin ; l'autre frère, Steve, est le caneton noir de la famille – mal aimé, sans taff, bambochard, renié par la mother. Sally devrait forcément tomber dans les bras de son sauveur qui, en plus, doit hériter de la fortune familiale... Mais entre le bourgeois satisfait et la fougue du frérot un brin alcoolo, les jeux ne sont pas faits. Voilà pour le fond.
Sur la forme, on est un peu plus coincé pour louer notamment la qualité de l'image... Toutefois (et ce n'est pas que notre mauvaise foi qui parle), on peut distinguer de jolies choses. Notamment dès le départ, lors de ces scènes tournées dans un tribunal (tout le monde défile devant le juge, de l'ancienne actrice shakespearienne à un bébé...), on peut apprécier quelques contre-plongées bien senties (la chtite Sally se sentant écrasée par la présence des flics) et autres plongées vertigineuses (sur cette salle de tribunal où ce petit monde d’insectes grouille). Notre cœur bat un peu plus chamade lors d'une séquence de balançoire de toute beauté dans les jardins de la maison de l'écrivain. Sally se balance, virevolte, elle vole littéralement au-dessus de la table du jardin, est filmée de face par une caméra très fluide suivant ses mouvement, puis la caméra se fait subjective pour qu'on vive ce balancement... Ceux qui nous suivent depuis 13 ans savent à quel point j'ai un faible pour les scènes en trapèze ou en balançoire, hein. Bon. Mais la scène sans doute la plus surprenante dans l'affaire, the morceauuu de choooix diraient certains, est définitivement le combat de « femmes entre elles » ; l'une des prétendantes de l'écrivain en a marre que ce chtit bout de femme from the ghetto accapare l'attention de ce bon parti. Du coup, elle va voir Sally qui lui interdit l'entrée dans le bureau de son sauveur (il bosse). S'en suit un crêpage de chignon d'anthologie avec des robes qui se raccourcissent à chaque scène (enfin, d'après ce que j'ai pu voir...). Ensuite, c'est vrai que sur la fin c'est peut-être parfois un peu trop bavard (Ford teste encore le matos), filmé un peu "à plat" mais on continue malgré tout de se réjouir devant les petites mines de la Sally qui n'est pas du genre à se faire écraser et manipuler. Au final, bonne petite comédie du sieur qui nous permet avec Kentucky Pride vu par mon comparse, d'assommer cette odyssée Ford (encore deux goodies et après pfffft). The Brat, un Graal est bu. (Shang - 26/03/19)
Ça y est, nous faisons partie des 12 personnes vivantes à avoir vu The Brat, je crois que Shangols est à un avènement. Peu importe, quand on tombe sur une telle rareté, que le film soit bon ou pas : on regarde ça avec le snobisme de qui se sait seul à le faire, c'est délicieux. Bon, après vision, ceci dit, il faut bien se résoudre à avoir une opinion et à l'exposer à l'édification de ceux qui n'ont pas vu la chose. Alors disons qu'on n'est pas vraiment dans le grand Ford, comme le dit mon camarade, mais que le film est suffisamment dynamique et mignonnet pour justifier la vision. Rien que pour les deux plans sur la balançoire mentionnés par Shang, on se rend bien compte qu'on est là face à un cinéaste et pas un simple faiseur. Dès le départ, avec l'énergie qui se dégage de ces scènes de tribunal, on savait déjà que c'était bien : Ford parvient à dessiner gentiment chaque petit personnage, à être drôle, à être très clair, et en plus à vous tricoter des plans audacieux (une plongée vertigineuse notamment), le tout en gardant son histoire en tête. Ce savoir-faire se poursuit tout le long du film, parfois un peu stagnant certes, mais la plupart du temps dynamique et parfaitement rythmé. Il explose de l'intérieur par la présence de cette petite comédienne à la voix de canard, une pile sur patte même quand elle est couchée (son regard sur le livre érotique qu'on lui a donné à lire est craquant). Son rythme, très différent de celui du reste du casting, exprime bien le thème du film : une nana populo qui vient dynamiter le confort d'une famille de grands bourgeois, et lui apprend l'humilité, l'humour et la compréhension. La belle hésite entre les deux frangins, mais saura démasquer la fatuité de l'écrivain, qui la prend pour une fan bêbête, et partir avec le modeste loser du clan. Entre temps, elle aura effectivement arraché quelques touffes de cheveux à la blonde de service, dans une bagarre absolument dantesque où les deux comédiennes s'attrapent comme des mégères (sans trucages, dirait-on) en s'arrachant leurs robes. Même si la fin est attendue, même si le film souffre de quelques petites longueurs dues au fil blanc de la trame, même si, passés ces quelques pics de style, Ford se montre bien sage là-dedans, on sent bien qu'il faut une maîtrise parfaite pour réussir ce petit machin. (Gols - 04/04/19)