La Fille de Négofol (Kentucky Pride) de John Ford - 1925
Le gars Shang est tombé sur un grenier abandonné, et en rapporte pour notre plus grand bonheur quelques pures raretés fordiennes. Je sais qu'au jour du Jugement, notre Seigneur, rien que pour ça, lui réservera quelques vierges rougissantes et des flots de rhum. Commençons donc avec cette trouvaille, qui annonce une année avant le joli Shamrock Handicap. Les courses de canassons semblent effectivement bien plaire au gars Ford en ces années 20. La particularité de Kentucky Pride, c'est que son édifiante trame est racontée par le bourrin lui-même : Virginia's Future, toute en poils soyeux et en crinière ondulante, raconte sa vie. Propriété d'un grand bourgeois connaisseur, promise à un haut destin de winner, elle est malheureusement victime d'un accident et doit être exécutée. Mais la bienveillance d'un palefrenier l'épargnera, et elle vivra cachée, comme simple cheval de chariot, en attendant que Confederacy, sa fille, gagne à sa place les hautes marches du podium. En parallèle avec la brutale existence de la jument, on suit la plongée en enfer de son maître, ruiné aux courses, marié à une furie infidèle, mais qui peu à peu va retrouver sa dignité sur les traces de Confederacy.
C'est un petit film familial qui ne mange pas de pain, mais il y a là un bonheur simple et partagé qui marque indéniablement des points. Les cartons sont nombreux, certes, mais leur particularité est de ne pas être purement informatifs : pas de dialogues, par exemple, mais le monologue poétique et pastoral de ce cheval qui regarde ces histoires d'hommes se dérouler sans vraiment les comprendre, et qui regarde les émotions que lui procurent ses propres histoires. Anthropomorphisme à tous les coins de rue : le cheval pense et réagit comme un être humain, ressentant le bonheur d'être mère, l'injustice des hommes ou l'amour pour son maître avec un choix de mots pesé. On passe sur la chose, en se disant que cette partie-là est plutôt destinée aux enfants. Et on se réjouit de voir le cinéaste filmer ces canassons qui s'ébattent au soleil avec un vrai amour. Beaucoup de plans ne montrent que ça, des chevaux qui galopent, et ça suffit au bonheur de Ford. Si en plus ils le font dans les verts prés du Kentucky profond, c'est encore mieux, ça lui permettra d'exalter la bonne herbe et l'air sain de la région. Ford déploie sans forcer son goût pour le mélodrame et la comédie légère, troussant ici une situation édifiante (il est mal de parier toute sa fortune aux courses), dessinant là un personnage haut en couleurs : J. Farrell MacDonald est l'archétype d'un certain personnage fordien, le populo grincheux et bon comme le pain, un peu concon mais le coeur sur la main. Le gars passe de palefrenier à entraîneur, puis à flic puis à sergent, et à chaque fois il prend un air plus satisfait, mais au fond de lui brille la petite flamme de l'humanité et de la bonté, c'est normal il est irlandais. Acteurs mignonets (les enfants, le héros tourmenté, la femme cupide), mise en scène discrète mais pleine de soleil, scénario consensuel et agréable : un petit Ford qui n'est pas seulement satisfaisant pour sa rareté.
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