La Légende du Combat à Mort (Shitô no densetsu) (1963) de Keisuke Kinoshita
Toujours un plaisir de retrouver le maître Kinoshita (pas petit ou grand, le maître Kinoshita, that's all) pour un récit "guerrier" plutôt flippant. On est sur la paisible île d'Hokkaido à la toute fin de la guerre : une famille, qui célèbre le retour de l'aîné (les deux autres fils ont déjà perdu la vie), a trouvé refuge dans un petit village perdu... Pour joindre les deux bouts, la fille veut se marier avec le fils du maire du village - faut faire parfois des concessions... Seulement voilà, son frère, celui qui revient du front, reconnaît le gars qu'il avait croisé en Chine ; le type avait en effet pour habitude de violer et d'assassiner de la Chinoise en toute impunité - un sale con, qui le porte bien sur son visage. On annule le mariage et c'est le début des vrais problèmes... Le fils, vexé comme un pou, va saccager la terre de la famille puis répandre la rumeur selon laquelle cette famille serait responsable de divers pillages ; bref, il va tout faire pour les faire haïr de ces villageois qui ont la tête près du bonnet et qui après des années de disette et de malheur (la plupart ont perdu des enfants) ont besoin d'un petit bouc émissaire pour déverser leur haine et leur sauvagerie... La meute fordienne ne va pas tarder à se mettre en marche pour lyncher un à un les membres de cette famille... Terreur en terre reculée...
Après les petites images idylliques du début (images verdoyantes (en couleur donc...) d'habitants s'entraidant en terre hokkaidienne), on ne va pas tarder à sentir passer un petit frisson glacial : noir et blanc d'usage, gros plans sur ce fils de maître sur son cheval avec sa mâchoire serrée et sa main bandée accidentée puis petit flash-back sur son comportement en Chine : on comprend rapidement toute la méchanceté du type... Notre petite famille de réfugiés (la grand-mère, la mère des filles et l'aîné qui est de retour) met du cœur à l'ouvrage pour tenter de s'en sortir. En pure perte, tant la haine va d'abord simplement monter contre elle (suite aux rumeurs) puis véritablement se déchaîner (le fils du maire tente de violer la fille et se reçoit une pierre dans la tronche : cela sonnera le début des hostilités). Dans le fond, on apprécie chez Kinoshita cette volonté évidente de condamner les écarts des Japonais en Chine (problème toujours pas réglé cinquante ans plus tard...) et surtout de montrer l'esprit étroit de ses concitoyens : croyant encore à la victoire alors que les pertes sont de plus en plus lourdes, croyant en l'Empereur alors qu'ils crèvent depuis des années, et surtout capables, à la moindre étincelle, d'agir aveuglément pour tuer leur semblable ; en un mot des abrutis bêtas comme des moutons quand il s'agit d'obéir et vicieux comme des scolopendres quand il s'agit d'assouvir sa connerie.
Les femmes, dans la famille de réfugiés, vont toutes faire preuve de dignité, de courage, de droiture, pour lutter contre cette foule en colère éructante (Kinoshita a su choisir de bonnes têtes d'abrutis qui marquent des points). Ce sont elles, d'abord, qui vont tenter d'endiguer ce tsunami de stupidité mâle, ces hommes en colère avec des œillères. Jolis portraits de femmes, donc, et capacité implacable à faire monter la tension (cette musique à base de guimbarde fout des frissons, les violons font dresser les poils et les mouvements de caméra et la science du montage font le reste (les champs-contre-champs sur le fils du maire et la fille de la famille glacent les sangs ; puis la caméra s'emballe lors de leur confrontation sous une pluie battante, une séquence qui fait définitivement chavirer le cœur)). Alors que la guerre fait encore rage, tout un village va sembler cristalliser toute la connerie de la violence humaine. Les cadavres tombent les uns après les autres et l'on se demande s'il y aura un jour une fin à ce carnage intrajap... Kinoshita montre une nouvelle fois avec un scénar fluide comme un coup de sabre tout son savoir-faire pour nous prendre aux tripes. Nouvelle belle découverte qui nous donne à chaque fois envie de dévorer comme un plateau de sashimi la filmographie du gars.



