Les Garçons de Fengkuei (Feng gui lai de ren) de Hou Hsiao Hsien - 1983
Un film tout empreint de nostalgie pour HHH, qui réalise ici son premier vrai film personnel après des productions légères. Les Garçons de Fengkuei relate les souvenirs d'adolescence de l'auteur, dans un subtil mélange de comédie et de drame, mais toujours avec une jolie poésie mélancolique qui, au son des Quatre saisons de Vivaldi (choix étrange, en porte-à-faux, mais qui s'avère payant), s'avère tout à fait émouvante. Ça commence comme un bon vieux Vittelloni : dans une petite ville portuaire qui suinte l'ennui, une bande de potes le trompent (l'ennui) en se livrant à des farces pendables qui se terminent la plupart du temps en bruyantes bagarres avec d'autres gars du coin. C'est l'habituel catalogue d'anecdotes drolatiques, des places de cinéma arnaquées aux tours classiques (genre arroser avec de la bière un type en train de pisser, quitte à se tromper de cible). Mais dès le départ, Hou Hsiao Hsien teinte ces scènes d'une nostalgie poignante sous-jacente, comme si cette jeunesse folle était déjà à deux doigts de l'abîme, et que le drame était toujours proche. Il y a par exemple la présence pesante de la famille, toujours pleine de reproche, et notamment d'un père amoindri depuis qu'une balle de base-ball lui a défoncé le crâne (scène amenée par un flash-back pour le coup un peu maladroit, comme le seront tous les retours dans le passé du film). Et puis le fric qui manque toujours, qui brise les rêves, et qui oblige à penser à travailler, c'est-à-dire à devenir adulte, quitte à renier ces années de légèreté. En attendant, Ah-Ching s'amuse, et la succession d'anecdotes est vraiment amusante : on a notamment droit aux quatre potes en train de faire les clowns devant le front de mer, dansant comme des couillons, dans un tableau irrésistible ; ou à une arnaque au cinéma porno, qui montre que le gars n'occulte pas les aspects pathétiques de la jeunesse folle. Ces scènes montrent d'ailleurs aussi l'importance capitale que le cinéma prend dans la vie de HHH, que ce soit en spectateur concret (un extrait de Rocco et ses Frères), en acteur involontaire (le plan fixe devant la mer, et son contre-champ) ou en tant que vecteur de fantasme (faute d'images porno, on regarde le paysage comme un film).
Peu à peu, le ton léger glisse vers quelque chose de plus sombre, avec le départ de trois des garçons pour la grande ville et leur soif d'émancipation. Là-bas, ils vont connaître la misère mais surtout faire la connaissance d'une jolie jeune fille dont Ah-Ching va s'amouracher, entre l'admiration et la passion de jeunesse. Passion contrariée : trop nigaud et trop jeune pour éblouir, le gars se réfugie plus souvent qu'à son tour chez ses potes, incapable de se déclarer, de verser complètement dans l'âge adulte et ses responsabilités. Le film poursuit les scènes amusantes (notamment une longue séquence de beuverie hilarante, où les gusses ne peuvent plus s'exprimer que par des éructations avinées), mais on est maintenant clairement dans le dur de la vie, avec ses frustrations, ses renoncements et ses turpitudes. Pas facile de grandir quand on est un bouseux de la campagne, qu'on a pas un rond et que le travail est minable (un poste à l'usine, en attendant de partir pour l'armée). Heureusement il y a la jeune fille et ses fulgurances de beauté, le trouble qu'elle déclenche, la somme de possibles qu'elle draine avec elle. Voilà : un film tout simple, qui ne raconte que ça, que c'est pas facile de vieillir, mais qui le fait avec une belle poésie et une belle pudeur. On n'est pas encore dans le grand style de HHH, mais on reconnaît quand même ça et là quelques beautés déjà en germe, dans l'utilisation de ces plans larges et fixes, dans le portrait fouillé des personnages, dans le sens du tempo, dans ces errances infinies en moto sur les petites routes de campagne. Un joli essai qui annonce un peu le grand cinéaste.