LIVRE : Céline (Celine) de Peter Heller - 2017
Joie de retrouver le gars Peter Heller que m'avait fait découvrir Gols, même si je dois avouer au passage avoir fait l'impasse sur son second roman. Ici, on est plutôt dans la veine du polar, du polar soft hein, puisque l'héroïne, la Céline du titre, est une détective privée d'une soixantaine d'année, abonnée à sa petite bouteille d'oxygène... Pas une dure à cuire ? Attention, il faut se méfier des apparences car la bougresse peut dégainer à la vitesse d'un Lucky Luke et faire preuve d'autant de répartie que Joe. Accompagnée par son mari relativement taiseux, elle va se rendre dans une réserve naturelle américaine (avec une sympathique référence à Grizzly Man qui fait toujours plaisir) pour retrouver la trace d'un homme disparu plus de vingt ans auparavant. Photographe pour National Geographic, l'homme qui a abandonné sa fille encore toute jeunette semble avoir eu un passé relativement trouble... Espion à la solde de la CIA ou pauvre mec maquillant sa disparition pour échapper aux griffes d'une véritable harpie, on ne sait trop ce qui se cache derrière ce beau gosse victime d'un passé traumatisant (la mort de sa femme par noyade, récit ouvrant magistralement le roman)... L'enquête s'avère semée d'embuches pour notre Céline aussi pugnace que réfléchie.
Heller ose la déconstruction narrative en mêlant à la trame principale (l'enquête) des flashs-back sur l'enfance de Céline, celle de Gabriella (la fille qui recherche son père) ou encore sur les mésaventures de Hank (le fils de Céline), lui-même à la recherche de douloureux secrets de famille soigneusement gardés (l'identité de son père, l'existence éventuelle d'une sœur). Heller est aussi doué pour rendre vivant un paysage que pour nous narrer avec force détails réalistes les traumatismes des uns ou les espoirs des autres. Même si ces trames se croisent et se recroisent, on est bienheureusement jamais perdu au niveau des personnages qui gagnent à chaque fois un peu plus en densité et on prend plaisir à retrouver à chaque fois la trame principale tant la tension est forte (là encore, de mystérieux secrets sont à découvrir sur le passé de cet homme, tout autant intrépide voyageur qu'alcoolique - non, on ne s'identifie pas à 100%, merci). Céline reste le centre de l'attention, son petit caractère farouche faisant à chaque fois des étincelles, qu'elle croise une bande de motards sexistes ou un tireur professionnel ; l'enquête est pour sa part assez bien menée, la chute semblant malgré tout un peu molle après toute cette attente et ces diverses promesses de mystères... Au niveau de l'écriture c'est toujours aussi efficace, qu'Heller se lance dans des phrases gionesques sur la nature ou raccourcissant celles-ci (des phrases non verbales) pour donner un peu de rythme à la chose. Un véritable page-turner moins éblouissant sans aucun doute, dans le fond et dans la forme, que son premier ouvrage, mais un sympathique polar "au naturel" qui tient son homme en haleine. (Shang - 21/02/19)
D'accord avec mon camarade après lecture de ce petit bouquin savoureux, qui se déguste comme un de ceux de son modèle, le bon Jim Harrison. Heller est plus que jamais dans les pas de son maître avec ce faux polar cool, qui traite son enquête comme un élément secondaire de la trame, et préfère prendre la tangente pour admirer les beaux paysages américains ou s'extasier devant la saveur d'une côtelette. Certes, la trame policière revient faire un tour à intervalles réguliers, mais plus on avance plus on sent que ce pauvre veuf disparu suite à la mainmise sur sa vie d'une véritable vamp manque un poil d'envergure pour faire un polar ambitieux. Peu à peu, à mesure que Céline et son mari se rapprochent de la vérité, l'enquête se délite, et c'est vrai que la résolution est un peu décevante : c'est qu'elle importe peu à Heller, qui se sert du genre pour trousser quelques portraits assez géniaux. A commencer par Céline elle-même, superbe caractère digne des grands Harrison, Miss Marple doublée d'un as de la gâchette, au flair hyper-affûté. Mais ma préférence ira indéniablement à son mari, un trésor d'intelligence, de bienveillance et d'amour, au verbe aussi rare que les ours qu'il pourchasse, un vrai cow-boy à l'ancienne avec le tendresse en plus. Les portraits sont magnifiques, et ces flashs-back qui émaillent le récit, même s'ils le ralentissent de temps en temps un peu trop, ajoute une énorme part d'humanité à cette bande : la biographie de cette enfant abandonné par son père désespéré, notamment est magnifique. Sûrement pour se garder la possibilité de faire une suite (comme Harrison avec ses polars de la fin), Heller laisse en plan quelques pistes, celle de sa soeur disparue par exemple. Et c'est tant mieux : on aimera retrouver cette héroïne géniale, son ingéniosité et son adresse au flingue. Le livre n'a pas l'ambition des premiers de l'auteur, mais se lit avec un plaisir total, grâce à cette précision dans les dialogues, cette justesse psychologique y compris dans les plus petits rôles, cet humour tendre et cette prodigieuse économie de moyens dans les descriptions des paysages : toute l'Amérique en un livre. (Gols - 13/03/19)