Smog (1962) de Franco Rossi
Voilà une œuvre (dans une version un peu défraichie, certes, mais quand on aime on est toujours prêt à faire des concessions, bordel) qui ne pourrait que plaire à l'ami Bastien et ce pour deux raisons : d'une part parce que c'est en italien, et d'autre part parce qu'il pourrait s'agir du pendant à Deux Hommes dans Manhattan du gars Melville, version côte ouest, puisqu'il s'agit ici d'explorer L.A. dans toute sa diversité, version vintage. Franco Rossi fait ainsi une entrée fracassante sur Shangols même s'il fut déjà question de lui dans des films à sketches italiens. Pas de doute qu'ici il trouve un sujet à la hauteur de son talent : Smog est un film trépidant qui suit les pas d'une sorte de couillon d'Italien avocat, tellement couillon qu'il en deviendrait presque attachant. En transit à l'aéroport de Los Angeles (il doit se rendre ensuite à Mexico), Vittorio Ciocchetti (Enrico Maria Salerno) se voit offrir l'opportunité de visiter la célèbre ville ricaine pour vingt-quatre heures... Notre homme, sans repère ni connaissance, sillonne à pied et un peu comme un gland les rues de Hollywood. Il transpire, se fatigue vite et trouve dans une galerie d'art, par hasard, deux de ses compatriotes... Une première rencontre qui, de fil en aiguille, va le mener à faire connaissance d'autres exilés et le faire partir à la découverte de divers quartiers de la cité des Anges : Pasadena, Beverly Hills, Hollywood boulevard, Culver city et j'en passe... A chaque fois, de nouvelles architectures, une nouvelle ambiance, de nouvelles classes sociales (plutôt huppées en général) mais un même constat : la difficulté à communiquer, à passer au-delà des relations superficielles ; c'est à la foi un peu de son fait (il ne parle pas un mot d'anglais et n'est pas du genre particulièrement empathique ou sympathique), mais comme dirait l'adage "pas seulement"...
Rossi met un point d'honneur à mettre une réelle dynamique dans cette œuvre constamment en mouvement, constamment dans le rythme (la participation musicale de Chet Baker est notamment toujours bonne à prendre). C'est un véritable road movie in the city et ce même si notre homme va passer un certain temps en discussions plus ou moins oiseuses avec des ricaines apprenant l'italien, des Italiennes parvenues, des gens de la haute, ou encore, son guide initial, un jeune exilé italien qui rêve d’accéder à l'American dream... Rossi dresse d'une part le portrait d'un Rital mal dégrossi, chauvin à en mourir, qui, même s'il est ébloui par la vie trépidante de cette jeunesse italo-américaine, ne peut s'empêcher de vanter la grandeur de l'Italie moderne... Les jeunes femmes qu'ils croisent ont beau sembler totalement émancipées et libres dans cette Amérique en plein boom, notre homme semble avoir bien du mal à vouloir le reconnaître voire à l'accepter... Opportuniste à souhait, il va de bras en bras, de rencontre en rencontre, s'accrochant toujours aux gens qui lui semblent appartenir à un milieu social plus élevé... Découvrant tout le charme, le dynamisme de cette contrée qu'il visite pour la première fois, notre homme semble malgré tout incapable de vraiment en profiter, comme aveugle, à l'image d'ailleurs de sa relation avec une (sublime) Annie Girardot qui flirte plus ou moins lourdement avec ce gros lourdaud. D'autre part, et c'est là tout le tour de force du film, Rossi ne cesse de virevolter d'un quartier l'autre, d'un petit monde l'autre, mettant en scène toute une classe sociale relativement avantagée, ultra accueillante dans ces HELLO, mais souvent tout aussi creuse que ces immenses constructions en verre qui jalonnent le film. Smog possède à la fois une énergie folle mais met en scène finalement des individus un peu en carton-pâte ; on sympathise avec ce nouvel arrivant souvent par manque du pays, on se lie à des gens friqués pour espérer un jour devenir milliardaire, on se fait de grands sourires sans avoir finalement grand-chose à se dire et le film, tout comme la séquence finale des plus angoissantes, laisse sur un constat des plus glaçants quant à la "qualité" des rapports humains. Heureusement, disais-je, il y a derrière ces sourires de façades et cette logorrhée verbale, une terrible énergie dans de multiples scènes : toute la séquence dans le bowling est absolument étourdissante (à tel point d'ailleurs que notre anti-héros finit par s'effondrer...), toute la partie à Pasadena où Ciocchetti, abandonnant lâchement Girardot, va de groupe en groupe est absolument enivrante, tout le moment passé à Culver City où le pétrole coule à flot est vertigineux. Smog met LA en pleine lumière et même si les multiples personnes que l'on rencontre semblent avoir perdu parfois une petite dose d'humanisme dans cette ville qui pète le feu, l'œuvre laisse en bouche une impression de vivacité complétement folle. Plongez les yeux fermés dans ce brouillard.